« La vie, la santé, l’amour sont précaires, pourquoi le travail échapperait-il à cette loi ? »
Laurence Parisot, présidente du MEDEF in Le Figaro Economie (30 août 2005)
On connaissait le « Wohlstand für alle ! » (L’abondance pour tous !) de l’ancien Chancellier ouest-allemand, Ludwig Ehrard, voici maintenant « le travail précaire pour tous ! » de Laurence Parisot. La phrase de la présidente du MEDEF est intéressante à double titre : elle permet d’abord de découvrir le fond de sa personnalité et de ses convictions, elle dévoile ensuite les principes iniques et égoïstes qui gouvernent notre société.
Il existe des phrases qui révèlent un comportement, une personnalité. Les entendre, c'est saisir le sens d'une action, c'est comprendre les motivations d'un combat, d'une lutte, d'un engagement. La citation de Laurence Parisot fait partie de ces phrases qui révèlent les âmes. Quand Martin Luther King dit : "Je fais un rêve, que mes quatre jeunes enfants habiteront un jour une nation où ils ne seront pas jugés pour leur couleur de peau mais par le contenu de leur caractère", Martin Luther King dit qui il est. Quand Gandhi dit : "Il y a assez sur terre pour répondre aux besoins de tous mais pas assez pour satisfaire l'avidité de chacun", Gandhi dit qui il est. Quand Alfred Sauvy dit : "un homme qui n'est pas informé est un sujet, un homme informé est un citoyen", Alfred Sauvy dit qui il est...
Quand Laurence Parisot dit dans le Figaro en août 2005 : "La vie, la santé, l'amour sont précaires. Pourquoi le travail échapperait à cette loi ?", elle dit qui elle est. Elle dit que l'Homme doit être au service de l'économie et non pas l'inverse. Elle dit que l'épanouissement de l'Homme n'est pas la finalité ultime de la société au contraire de l'augmentation du capital et de la compétitivité. Elle dit que la pauvreté et la précarité font partie de la vie d'une société : ce sont les dommages collatéraux de la course vers le "toujours plus". A partir de là, pourquoi combattre l’injustice et le sentiment de fragilité ? Elle chosifie le plus beau sentiment humain, "l'amour", pour en faire un état aseptisé répondant à une "loi". Elle refuse de voir le lien évident entre travail précaire et vie, santé et amour "précaires", comme si tout cela n'était pas lié. Elle dit que la passion de sa vie, c'est l'économiSME et qu'il devrait en être de même pour chacun si les gens veulent que leur état d’agent consommateur s'améliore un peu à la fin du mois.
Dans un deuxième temps, cette phrase est symptomatique de la pensée économique qui domine nos sociétés, celle qui régit le capitalisme contemporain. Vivre devient un combat, la précarité est un sentiment à ce point institué (institutionnalisé ?) qu'on ne le considère plus comme l'ennemi à combattre mais comme l'allié de la production, celui qui va aider les "précaires" à se dépasser, à offrir un peu plus de leur temps ou de leur santé.
Non, la précarité n'est pas une loi immuable. Non, l'amour n'est pas un sentiment précaire qui répond à une loi. Non, l'instauration de la précarité n'est pas bénéfique. Oui, il faut chanter la vie, défendre des services publics de santé de qualité pour éviter les sociétés déprimées et malades.
Si Laurence Parisot veut faire la guerre aux travailleurs et leur imposer la précarité comme unique horizon, pas étonnant de voir les syndicats et les partis de gauche faire la guerre au MEDEF. 158 ans après le Capital de Karl Marx et de Friedrich Engels, la guerre des classes n’a pas fini de sévir. A quand la trêve ?
Samuel Duhamel