16.8.06

Interview d'Arno Klarsfeld

«Aucun mineur ayant des attaches en France ne sera expulsé»
Arno Klarsfeld, médiateur national (en charge des cas litigieux dans le cadre de la procédure de régularisation ouverte par la circulaire du 13 juin pour les familles d'élèves sans papiers)

A 3 jours de la date limite de demandes de régularisation, combien de dossiers ont été déposés en préfecture ?
Le ministre d'Etat a fait connaître sa projection le 24 juillet dernier : environ 6000 régularisations sur 20000 dossiers déposés en préfecture. Il a estimé qu'environ 30% des demandes des demandes seraient satisfaites. Je ne vois pas pourquoi cela changerait aujourd'hui. Ca sera peut-être un peu plus ou un peu moins mais on restera dans ces eaux-là.

Combien de cas litigieux avez-vous épluchés ?
On m'a envoyé environ 200 dossiers pour le moment. Ce sont généralement des demandes qui ne rentrent pas complètement dans le cadre de la circulaire ministérielle et qui nécessitent davantage d'attention. Je reçois des dossiers de genres différents. Certains ne rentrent pas dans mes prérogatives comme les demandes de regroupement familial ou de célibataire sans enfant... Mardi, Réseau éducation sans frontière m'a envoyé des demandes de régularisation pour trois familles : dans la première, le père a fait trois mois de prison, dans la deuxième, l'enfant a été scolarisé après septembre 2005 et la troisième est du ressort de la Convention de Dublin (droit d'asile). Quand je reçois des demandes de familles entrant dans le cadre de la circulaire et ne comportant aucune spécificité, je les renvoie directement à la préfecture compétente : je ne suis chargé que des cas litigieux.

Quels sont vos critères pour décider si, oui ou non, vous régularisez une famille ?Je ne décide rien du tout. Je ne fais qu’éplucher des dossiers, rencontrer les familles, comprendre leurs vies pour me faire une impression sur la pertinence de la demande. Ensuite, je transmets mon sentiment au Préfet, responsable des régularisations. C’est l’administration qui prend la décision finale. Moi, je ne suis que médiateur, c’est-à-dire celui qui fait le lien entre les familles en situation irrégulière et la préfecture. Toutefois, quand j’étudie un cas, j’ai une ligne directrice : il ne faut pas expulser les familles dont les enfants ont de fortes attaches en France. Les enfants n’ayant pas de lien avec le pays de leurs parents ne seront expatriés. Nous ne voulons pas déraciner les mineurs qui se sentent chez eux en France.

L’Espagne a procédé à 700 000 régularisations en 2005, l’Italie à 350 000 le mois dernier et s’apprête à accorder des papiers à un million d’étrangers irréguliers d’ici la fin de l’année. Avec ses 400 000 clandestins estimés, pourquoi la France ne fait-elle pas de même ? Pourquoi la France ne régularise pas massivement ?
L’Italie et l’Espagne étaient des terres d’émigration qui sont devenues des terres d’immigration. Par le passé, ces pays ont accueilli beaucoup moins d’étrangers que la France. Leur situation n’est donc pas comparable à la nôtre. Par ailleurs, ce sont des pays dont l’indice de natalité est faible et qui sont en recherche de main d’œuvre. La régularisation d’étrangers clandestins peut donc leur redonner du dynamisme. Mais même là-bas, je ne crois pas que la régularisation en masse soit la meilleure solution. A mon avis, l’Espagne et l’Italie vont au devant de graves problèmes d’intégration. Je tiens également à dénoncer la position démagogique des partis et associations d’extrême gauche qui tentent de nous faire croire qu’une régularisation massive est possible en France. Quand on dit « non » au traité constitutionnel européen parce qu’on a peur d’être envahis par des plombiers polonais et qu’on assure, quelques mois après, que faire régulariser tous les clandestins est une bonne solution pour la en France, on n’est pas crédibles.

Réseau éducation sans frontières (RESF) craint que les jeunes majeurs bénéficient de moins d’indulgence que les mineurs en vue d’une éventuelle régularisation. Certains parlent de « chasse aux lycéens ».Qu’en pensez-vous ?
Ca n’a aucun sens. Les jeunes majeurs qui sont en situation irrégulière seront expulsés. C’est tout. Il n’y a rien d’inhumain à renvoyer un jeune homme de vingt ans dans son pays d’origine si celui-ci est arrivé en France à quinze ans. Mais la situation des majeurs n’entre pas dans le cadre de ma mission.

Justement, êtes-vous déçu de ne devoir vous occuper que des cas litigieux concernant les mineurs ?
Absolument pas. Je suis allé voir Nicolas Sarkozy pour lui témoigner de mon intérêt pour les questions concernant les jeunes de moins de 18 ans. En me nommant médiateur national, le ministre d’Etat me pense compétent pour analyser les dossiers des mineurs. C’était mon objectif initial, j’en suis très satisfait. M’occuper des mineurs me prend déjà beaucoup de temps : je dois lire les dossiers, les transmettre aux préfectures, faire une travail de pédagogie auprès des familles, rencontrer les gens, faire des voyages… Ce travail sera bénéfique car il n’y aura pas d’expulsion de familles dont les enfants ont de fortes attaches en France.

Mais alors pourquoi vous prononcez-vous aussi sur des cas de jeunes majeurs comme celui de Jeff qui devrait être renvoyé au Nigéria ?
Simplement parce qu’on me l’a demandé. Quand on me questionne sur des cas comme celui-ci, je ne réponds pas en tant que médiateur national mais en tant que citoyen. Le cas de Jeff m’a interpellé car il n’a plus aucun lien dans son pays d’origine : plus de famille, plus d’amis. Il s’est créé une nouvelle vie ici : il a appris le français, réussit ses études, a une famille d’accueil… Certaines expulsions de majeurs peuvent également être injustes. J’essaie donc d’apporter mon soutien aux associations pour qu’il ne soit pas renvoyé. Je me satisfais d’ailleurs du contrat d’embauche qui lui a été proposé par la mairie du XIème. C’est un argument de plus pour qu’il reste ici.

Propos recueillis par Samuel Duhamel