Théodore Monod, savant et naturaliste
On présente souvent l'énergie nucléaire comme une solution de compromis. Dangereuse ? Oui, mais elle assure notre indépendance énergétique. Produtrice de déchets radioactifs ? Oui, mais elle n'émet pas de gaz à effet de serre. Difficile à maîtriser ? Oui, mais sans elle, nos besoins en électricité ne pourraient pas être satisfaits.
L'atome serait un moindre mal, un pis-aller, une contrainte salvatrice. Ne tournons pas autour du pot : tout cela est faux ! Le nucléaire ne dispose d'aucun avantage spécifique dont les autres sources d'énergie ne pourraient prétendre. Le nucléaire est une énergie mortifère, polluante et coûteuse et surtout elle n'est en aucun cas indispensable pour assurer l'avenir énergétique de la France et du monde.
L'atome tue. L'Histoire nous l'a appris en août 1945 avec le bombardement d'Hiroshima et de Nagasaki par le président américain Harry Truman. Mais le nucléaire civil est également une plaie pour l'humanité. Lors des catastrophes évidemment (l'explosion de réacteurs à Tcheliabinsk en 1957 et à Tchernobyl en 1986 ont entraîné la mort de centaines de milliers de personnes), mais pas seulement. Les matières radioactives (uranium, plutonium, tritium, césium, strontium...) nous contaminent en permanence. Lorsque ces matières sont présentes en masse dans notre environnement, elles nous irradient et provoquent des mutations au sein de notre organisme pouvant déboucher sur des cancers. En France, depuis l'installation de la première centrale en 1975, les cas de cancer de la thyroïde ont été multipliés par trois. Par ailleurs, différentes études sur la radioactivité montrent que les citoyens habitant à proximité de centrales nucléaires ont statistiquement beaucoup plus de "chances" d'attaper une leucémie. Cette contamination insidieuse a des effets dévastateurs. D'après les experts du CERI (comité européen sur les risques de l'irradiation), le nombre total de morts dues au nucléaire sous toutes ces formes depuis 1945 dépasse les 60 millions. C'est autant que le bilan des deux guerres mondiales réunies... Et ce chiffre pourrait gonfler davantage si d'aventure, des terroristes écrasaient un avion sur une centrale en activité. En France, les usines atomiques n'ont pas été conçues pour supporter l'impact d'un avion de ligne. D'après le World Information Service on Energy, si un tel appareil se crashait sur les bassins de refroidissement de l'usine de retraitement de La Hague, c'est l'équivalent de cinquante fois la quantité de radiations émise par Tchernobyl qui serait libérée...
Et si l'énergie nucléaire tue, c'est aussi par la faute des déchets radiocatifs qu'elle engendre. Car contrairement à ce qu'on entend parfois, le nucléaire pollue. Les déchets radioactifs sont toxiques et contaminent tout ce qui les touche. D'après l'Agence internationale sur l'énergie atomique, plus de 100 000 tonnes de matières radioactives ont été déversées en mer depuis 1945. Aujourd'hui, l'usine de retraitement de La Hague déverse chaque jour 650 000 litres d'eau contaminée dans la Manche. C'est considérable mais c'est pourtant douze fois moins que ce que rejette quotidiennement l'usine de Sellafield (Angleterre) dans la mer d'Irlande... Evidemment, cette pollution a un impact direct sur la biosphère : les homards pêchés en mer d'Irlande présentent ainsi un taux de radioactivité treize fois plus élevé que celui considéré comme acceptable pour la consommation. Autre problème : certains déchets radiocatifs ont une durée de vie quasiment infinie. Ils peuvent être dangereux pendant plus de 200 000 ans, ce qui veut dire que l'arrière-petit-fils de votre arrière-petit-fils pourrait être contaminé par des radiations émises aujourd'hui. Et ce sur près de 6 000 générations...
Le pire dans l'histoire, c'est que même l'argument préféré des nucléocrates ("au moins, l'atome n'émet pas de CO2 !") est inexact. L'énergie nucléaire émet des gaz à effet d'au moins deux façons. D'abord, de manière directe car chaque étape de production d'énergie nucléaire émet du dioxyde de carbone (construction des centrales, extraction et transport de l'uranium, transport des déchets de la centrale à l'usine de retraitement de la Hague puis de l'usine de retraitement à celle de réenrichissement située à... Tomsk en Russie). Puis, de manière indirecte car la France importe de l'éléctricité allemande, majoritairement d'origine fossile, lors de ses pics de consommation. L'énergie nucléaire n'a donc rien de durable, comme le revendiquent parfois ses défenseurs. Le retraitement des déchets ne peut pas être considéré comme un recyclage. Seuls 10% de l'uranium appauvri (déjà utilisé pour produire de l'énergie) peut être réutilisé après une étape de réenrichissement lointaine et dangereuse. Ceci explique sans doute pourquoi seulement trois pays (France, Grande-Bretagne et Japon) sur les trente-deux qui font fonctionner des réacteurs choisissent de retraiter leurs déchets.
Tout cela a un coût. Elevé évidemment. Le prix officiel d'un kilowattheure émis par une centrale nucléaire avoisine les trois centimes d'euro. Mais ce coût ne comprend pas le coût de l'investissement de départ, celui de la recherche, celui des dépenses publiques de sûreté, le coût du combustible, celui du retraitement, de la gestion des déchets, du démantèlement... Si bien que certains spécialistes estiment le coût réel du kilowattheure d'origine nucléaire a six ou sept centimes d'euro. Or, des modèles récents d'éoliennes ont permis de générer de l'électricité au prix de 2,4 centimes d'euro le kilowattheure. Et ce n'est pas tout ! Le nucléaire a également un coût social non négligeable. Aujourd'hui, en France, il concentre 90% des investissements en recherche énergétique contre seulement 2% pour les énergies renouvelables. Or, le nucléaire génère moins d'emplois que toutes les autres énergies. D'après le centre international de recherche sur l'environnement et le développement, pour un million d'euros investis, le nucléaire crée 19 emplois, contre 23 pour le solaire, 27 pour l'éolien, 47 pour le microhydraulique et plusieurs dizaines pour l'efficacité énergétique (consommer autant en produisant moins). Ces chiffres ne sont valables qu'en période dite normale, c'est-à-dire sans accident. Mais outre les conséquences humaines, le coût d'une catastrophe nucléaire serait apocalyptique pour les finances d'un pays comme la France. Pour mémoire, l'accident de Tchernobyl a coûté 240 milliards d'euros à l'URSS. Aujourd'hui, le coût d'un accident nucléaire majeur en France est évalué à environ 400 milliards d'euros. Soit plus d'un quart de la dette de l'hexagone...
Bonne nouvelle malgré tout : le nucléaire n'est en rien indispensable pour couvrir nos besoins en énergie. Une étude de l'institut pour l'énergie et la recherche environnementale, sortie en 2006, montre que la France, pays le plus nucléarisé au monde, pourrait sortir du nucléaire d'ici 2040 tout en réduisant de 40% ses émissions de gaz à effet de serre. Evidemment, cette mutation passe par des changements radicaux dans nos comportements mais aussi dans nos modes d'approvisionnement d'énergie. Il faudrait investir massivement dans les énergies renouvelables, miser sur les transports les moins polluants et augmenter notre efficacité énergétique. Mais cela est possible. Autre étude encourageante : celle de l'association Virage Energie en 2008. D'après elle, la région Nord-Pas-de-Calais peut sortir de l'ère de l'atome d'ici 2050 tout en couvrant ses besoins électriques et en divisant par quatre ses émissions de CO2, si des investissements massifs sont faits dans le solaire photovoltaïque, l'éolien terrestre et offshore, le bois et le biogaz. Bref, le nucléaire, à l'origine de seulement 8% de l'énergie vendue sur la planète, peut rapidement devenir de l'histoire ancienne si une volonté politique forte se fait entendre. Aujourd'hui, quasiment plus personne ne croit aux beaux discours des nucléocrates. D'après une étude récente de l'Union Européenne, 75% des Européens pensent que les tenants de l'industrie du nucléaire mentent. C'est vrai, ils mentent. Alors à quoi bon continuer à les écouter ?
Samuel Duhamel
Sources :
Agnès Sinaï, Yves Cochet, Sauver la Terre, éd. Fayard, 2003, Paris, p. 213-248
Laurent de Bartillat, Simon Retallack, Stop, éd. Seuil, 2003, Paris, p. 154-183
Philippe Quirion, "Sortie du nucléaire : y a du travail !", Ecorev, n°10, septembre 2002, Paris, p.39-43
Laure Noualhat, Eric Gueret, Déchets, le cauchemar du nucléaire, prod. Arte et La bonne pioche, 2009
Synthèse du rapport Virage Energie Nord-Pas-de-Calais, 2008
Rapport de l'Institure for energy and environmental research, 2006
Agnès Sinaï, Yves Cochet, Sauver la Terre, éd. Fayard, 2003, Paris, p. 213-248
Laurent de Bartillat, Simon Retallack, Stop, éd. Seuil, 2003, Paris, p. 154-183
Philippe Quirion, "Sortie du nucléaire : y a du travail !", Ecorev, n°10, septembre 2002, Paris, p.39-43
Laure Noualhat, Eric Gueret, Déchets, le cauchemar du nucléaire, prod. Arte et La bonne pioche, 2009
Synthèse du rapport Virage Energie Nord-Pas-de-Calais, 2008
Rapport de l'Institure for energy and environmental research, 2006