Si les antilibéraux n’ont pas encore trouvé de candidat unitaire pour la présidentielle, ils disposent au moins d’un ouvrage de référence. Le grand bond en arrière, dernier essai de Serge Halimi, revient sur le tournant néolibéral qui a bouleversé le système économique mondial, à partir de la fin des années 70. Dans un style limpide et soutenu, les 600 pages du livre présentent les méfaits de l’économie de marché sur les pays pauvres et industrialisés ainsi que la manière dont le capitalisme libéral s’est imposé comme seul horizon économique possible, en dépit de l’opposition d’une majorité de la population mondiale.
La force du livre repose sur la quantité significative d’exemples et de cas concrets rapportés par l’auteur. Du Royaume-Uni aux Etats-Unis, en passant par la Nouvelle-Zélande, la France ou l’Allemagne, le libéralisme a conquis l’ensemble de la planète. Serge Halimi a suivi ce mouvement d’internationalisation de l’économie et explique comment le primat du marché, d’abord considéré comme inopérant entre 1930 et 1970, est rentré dans les cerveaux sans jamais y ressortir. Doucement mais sûrement, la contamination s’est développée jusqu’à atteindre des familles politiques qu’on croyait vaccinées comme les socio démocrates ou une partie des écologistes. Le journaliste du Monde diplomatique s’appuie toujours sur les faits et les dires des thuriféraires du néolibéralisme pour construire son argumentaire. Une méthode efficace qui le préserve du risque de diffamation. Mais s’il donne la parole à Camdessus, Clinton, Sarkozy et les autres, c’est pour mieux les contrer. A la lecture du livre, il apparaît évident qu’humanisme et économie dérégulée sont incompatibles. La démonstration est éclatante. Halimi ne critique pas pour le plaisir ou parce qu’il se croit supérieur à ceux qui pilotent le système économique mondial. Il le fait car, à la lumière de ses recherches, il s’est aperçu que le libéralisme conduisait à davantage d’inégalités entre riches et pauvres et pénalisait les catégories sociales les plus fragiles.
Le travail de recherche est exceptionnel. Une biographie de plus de 200 ouvrages permet de considérer à sa juste valeur la synthèse réalisée par l’auteur. Bien qu’un peu long sur certains passages, Halimi nous emmène là où il le souhaite : dans le domaine du savoir et de la réflexion. Et pour ceux qui n’y connaissent rien en économie, pas de panique : l’essayiste rappelle les fondamentaux (stagflation, politique de l’offre, désinflation compétitive (!)…) qui permettent de suivre le propos sans heurt. Un récit exigeant et détaillé, des convictions aiguisées à l’aune de la réalité, une incitation à changer le monde… Pas de doute, à côté de La grande désillusion de Joseph Stiglitz ou des Nouveaux maîtres du monde de Jean Ziegler, Le grand bond en arrière mérite une place sur le podium dans le palmarès des livres de vulgarisation économique anti-système. A distribuer de toute urgence dans les lycées… et les Parlements !
Samuel Duhamel
Le grand bond en arrière de Serge Halimi, Fayard, Paris, 2006
592 pages, 24 euros