« Si, à la fin de mon mandat, tous les Brésiliens ont de quoi manger trois fois par jour, j’aurais accompli la mission de ma vie. » Trois ans et demi après son discours d’investiture à la présidence de la République, Luiz Inacio Lula da Silva n’a pas atteint son objectif. Malgré une baisse sensible de la pauvreté, 14 des 190 millions de Brésiliens souffrent encore de la faim[1]. Pourtant, 55% de la population considère que c’est dans l’aide aux plus démunis que l’action de l’ancien ouvrier métallurgiste a été la plus efficace[2]. Etrange paradoxe…
L’explication tient en deux mots : bolsa familia (bourse familiale). Fruit de la fusion de quatre programmes d’aide sociale et du triplement du budget alloué à la lutte contre la faim, la bourse est un revenu individuel garanti aux familles dont les revenus sont inférieurs à 240 reals (100 euros) par mois. Deux conditions sont nécessaires pour toucher la bolsa familia : scolariser ses enfants et les faire vacciner contre les principales maladies infantiles. D’un montant de 15 reals (6 euros) par enfant et ne pouvant excéder 95 reals (39 euros) par foyer, la bourse profite aujourd’hui à plus de 11 millions de familles, soit un quart de la population brésilienne. Le succès de l’allocation dans l’opinion est tel que même les partis d’opposition en viennent à souligner ses mérites. « La bourse familiale est la réforme sociale la plus ambitieuse que le Brésil ait jamais connue », résume Waldir Pires, ministre de la défense du gouvernement Lula. « Avec un budget de 8,3 milliards de reals (3,5 milliards d’euros), c’est le plus grand programme de redistribution des richesses du monde. Grâce à la bourse, jamais l’écart entre riches et pauvres n’a été aussi mince au Brésil », complète Ricardo Mendonça, journaliste à la revue Época.
Mais le président Lula ne veut pas s’arrêter là. Le 16 septembre, il rappelait lors d’un meeting à Salvador de Bahia que le Brésil était encore « l’un des pays les plus inégalitaires au monde[3] » et que « l’Etat devait augmenter les transferts de revenus en direction des plus modestes ». Prochaine étape : instaurer un véritable revenu d’existence. Une loi créant la renda basica de cidadania (ou revenu minimum de citoyenneté), fixée à 40 reals (18 euros) par personne et par mois, a déjà été votée en janvier 2004. Son entrée en vigueur est prévue après les élections présidentielles d’octobre. Pour le député du Parti des travailleurs Eduardo Suplicy, initiateur du projet au Parlement fédéral, « la bourse familiale n’est qu’un début. Il faut maintenant accorder à chacun un revenu inaliénable lui permettant de vivre décemment. C’est le meilleur moyen d’éradiquer la pauvreté, de mieux redistribuer les richesses et de garantir la dignité et la liberté aux citoyens. » Mais l’instauration du revenu de citoyenneté prendra du temps. Marco Weissheimer, spécialiste des questions sociales au Brésil, estime qu’ « il faudra encore une dizaine d’année avant que l’allocation universelle soit distribuée à tous les citoyens. Un tel projet ne peut être mis en place que graduellement sous peine de creuser le déficit public.» Pour autant, après plus de quarante ans d’augmentation continue des inégalités entre Brésiliens modestes et fortunés, le pays semble enfin avoir trouvé la parade pour supprimer la grande pauvreté. Reste à savoir quand la mission du président Lula sera définitivement accomplie.
Samuel Duhamel
[1] Etude de l’institut brésilien de géographie et des statistiques, 2004
[2] Etude de l’institut de sondage Vox populi, juin 2006
[3] D’après le PNUD, le Brésil est l’un des trois pays les plus inégalitaires d’Amérique latine avec le Chili et le Paraguay.