7.4.06

Contre l’oubli et l’injustice, l’action citoyenne continue

Survie se mobilise en mémoire des Tutsis exterminés lors du génocide au Rwanda en 1994

L’association Survie organisait jeudi à la cave des Célestines une conférence sur l’implication française dans le massacre des Tutsis. Quasiment douze ans jour pour jour après le début du génocide au Rwanda, la mobilisation se poursuit pour que les responsables rwandais et leurs complices français soient enfin condamnés.

« Si nos compatriotes étaient au courant d’une infime partie de ce que l’Etat français a fait au Rwanda au début des années 1990, ils seraient profondément révoltés. » Isabelle Sagnet, vice-présidente de Survie Nord, se veut sans concession. D’après elle, la France a été complice du génocide d’au moins huit cent mille Tutsis au Rwanda d’avril à juillet 1994. Huit cent mille morts en trois mois, dix mille par jour : le caractère exceptionnel du bilan chiffré finit par brouiller la réalité. S’appuyant sur l’ouvrage du juriste Géraud de la Pradelle[1], Isabelle Sagnet accompagnée d’Anne Merckaert, présidente de Survie-Nord, et Sewa Lassey, de l’association Amitié judéo-noire, ont expliqué à une vingtaine de citoyens présents les causes et le déroulement de la guerre au Rwanda, « programmée avec l’aval des autorités françaises ».

Mobilisation perpétuelleLes difficultés auxquelles se heurtent Survie et les autres associations militant pour que la vérité éclate dans les conflit rwandais sont énormes : désintérêt des médias, publication d’ouvrages minimisant ou réfutant la participation de la France dans le massacre, impunité des dirigeants… Pourtant, la commission d’enquête citoyenne sur le rôle de la France dans le génocide des Tutsis au Rwanda, lancée en mars 2004, a établi une forte présomption de complicité de la France avec le gouvernement génocidaire. « La France n’a jamais reconnu la gravité des actes commis durant cette période, il n’y a pas eu de remise en cause. On voit ainsi que la démocratie n’est pas un acquis mais bien une lutte permanente », explique Sewa Lassey.

Responsabilité française dans le génocideLes raisons de la mobilisation de Survie sont d’autant plus légitimes qu’elles se heurtent à l’impunité dont profitent les dirigeants politiques. Les déclarations de François Mitterrand (« Un génocide dans ces pays-là, ce n’est pas très important ») ou plus récemment de Jacques Chirac (« L’Afrique n’est pas mûre pour la démocratie ») montrent pourtant l’irresponsabilité de la France dans ses relations avec les pays d’Afrique ces dernières années. D’après Isabelle Sagnet, au Rwanda, les militaires français auraient « livré des rescapés Tutsis aux génocidaires Hutus, assassiné des Tutsis, violé des rescapées » ou « laissé des massacres se perpétrer dans la ‘zone de sécurité’ qu’ils administraient ». Le tout aurait été orchestré avec l’accord au moins tacite des dirigeants de l’époque dont François Mitterrand, Edouard Balladur, François Léotard, Alain Juppé…. Le rapport de la Commission d’enquête citoyenne initiée par Survie fait ainsi état d’une « complicité militaire, financière et diplomatique » de la France avec le régime rwandais. « Nous ne critiquons pas l’action de notre pays pour le plaisir, assure Anne Merckaert, mais parce que nous ne voulons pas que des crimes soient commis en notre nom. »

Vers davantage de maturité politique ?Survie propose donc des réformes pour que de tels drames ne se reproduisent plus : la lutte contre l’impunité des gouvernants, le renforcement du poids du Parlement face au chef de l’Etat, le contrôle des transferts d’armements de France vers des pays Africains doivent être les points de départ d’une action politique responsable et citoyenne. Car avant de vouloir aider l’Afrique, il faut d’abord cesser de lui nuire.

Pour plus d’informations : contactez Survie Nord au 03 20 36 15 30 ou survienord@club-internet.fr
Site : www.fraternet.org/survienord

Créée en 1984 suite à l’appel de 53 vainqueurs du Prix Nobel, Survie est une fédération regroupant quelque 1.500 adhérents, la plupart associées en 16 groupes régionaux. L’association, indépendante de toute filiation politique ou religieuse, poursuit trois objectifs d’action : promouvoir l’accès de tous aux biens publics, assainir les relations franco-africaines et prévenir les génocides dans le monde.

Samuel Duhamel

[1] Imprescriptible, l’implication française dans le génocide tutsi portée devant les tribunaux, Géraud de la Pradelle, éditions Les Arènes, 2005