17.3.09

Mesrine par Mesrine

« Quand on fait le métier que je fais, la moindre imprudence peut coûter la vie et, pire encore, la liberté. »
Jacques Mesrine

Un appétit incommensurable pour la vie… dans un livre intitulé L’instinct de mort. Etrange paradoxe que nous livre Jacques Mesrine, l’ancien ennemi public numéro 1, dans sa biographie écrite en 1976, trois ans avant son exécution par l’antigang à Paris. Etrange mais aussi logique : l’existence du tueur carnassier ne fut qu’une ode à la liberté, à la volonté de vivre pleinement sa vie, sans contrainte et en acceptant les conséquences.

Mesrine était un personnage complexe et fascinant : franc-tireur égoïste, il savait se plier en quatre pour ses amis quitte à y laisser sa peau. Hors-la-loi permanent, il ne dérogeait jamais aux règles de son milieu, celui des gros calibres, des vols et des règlements de compte. Brute épaisse, il avait une réflexion aiguisée sur la vie et montrait par ses coups insensés l’étendue immense de son intelligence. Mesrine, ce sont des centaines de braquages de banques réussis, probablement des dizaines de meurtres prémédités, huit années passées en détention dans la souffrance et la solitude. Mesrine, c’est aussi l’audace incarnée, quatre évasions de prison, une vie de bohème à travers le monde dans le luxe et la volupté. C’est la vie sans limite qui s’offre à la mort certaine.

Dans son livre, le Grand Jacques se raconte sans fioriture. On redécouvre le tueur, le braqueur, le kidnappeur. On fait la connaissance d’un poète insoupçonné qui dompte les mots et vous les offre comme des caresses. Cinquième phrase : « L’ombre des barreaux se reflète sur les murs délavés des cellules comme pour y emprisonner la seule évasion que représente le rêve. » Danton avant d’être guillotiné ? Non ! Mesrine à la prison de la Santé. Une sensibilité à fleur de peau, une haine viscérale pour l’humiliation et l’injustice et pourtant une indifférence froide devant le sang qui coule. Tel était Jacques Mesrine. Tel est le portrait qu’il dresse de lui-même. L’instinct de mort est donc un formidable roman d’aventures écrit à la première personne. Avec l’auteur, on voyage dans les hôtels quatre étoiles de Palma de Mallorca en Espagne, dans le Grand Nord canadien, sur les plages de sable fin du Venezuela. Mais on est aussi souvent enfermé dans une cellule de 9 mètres 2 où on attend seul que le temps passe, où l’on prend des coups sans pouvoir rugir en retour.

Dense, poignant, fascinant, L’instinct de mort est un récit qui vous frappe la gueule comme son auteur savait le faire. Il raconte le flux tourmenté de douze années de vie, de survie et de flirt avec la mort. Par son livre, Mesrine nous surprend, nous prend à contre-pied encore une fois. Mais surtout, il nous indispose car la vie du tueur romantique qu’il était n’est que le reflet d’une société dans laquelle il n’a jamais pu s’insérer. Mesrine représente l’échec de notre mode d’organisation sociale. C’est peut-être en cela qu’il est le plus passionnant.

Samuel Duhamel

L’instinct de mort de Jacques Mesrine, éd. Flammarion, 392 pages, 2008, 21 €







Les mots de Mesrine
Précis avec les armes, Mesrine l’était aussi avec les mots. Tout au long de son autobiographie, il jalonne ses aventures de phrases somptueuses ou de formules adéquates. Sans le savoir peut-être, Mesrine était un grand écrivain. Ces quelques citations en sont la preuve.

« Seigneur, protège-moi de mes amis… mes ennemis, je m’en charge. »Une phrase que Mesrine répétait souvent à qui voulait l’entendre et qui prit du sens le jour où son collègue Pierre Verheyden le balança à la police. Cette trahison allait lui coûter cinq années de prison avant son évasion de la prison de la Santé en mai 78 avec François Besse.

« Celui qui entrait en prison sans argent ressortait dans les mêmes conditions et n’avait comme seule solution que de commettre un autre délit pour vivre. Psychologiquement, la détention est destructive ; pas d’éducateur pour ceux qui auraient voulu apprendre un métier, pas de service social et des soins médicaux quasiment inexistants. La société nous encageait et faisait de notre détention beaucoup plus un règlement de comptes qu’une dette à payer avec espoir de s’en sortir un jour. »
Durant toute sa carrière, Mesrine n’eut de cesse de critiquer les conditions de détention en France et au Canada. Militant pour la suppression des quartiers de haute sécurité dans les prisons, il obtînt avec d’autres la fermeture de l’Unité spéciale de correction (USC) du Canada, la prison la plus dure du pays.

« Nous savions que ce que nous avions décidé d’entreprendre était presque impossible. […] Il fallait être fou pour tenter un coup pareil… ou fidèle à ses amis et aux promesses faites. C’était notre cas. »Quelques jours après s’être évadés de l’USC du Canada, Mesrine et son collègue Mercier sont retournés à la prison pour y libérer tous les prisonniers. Face à eux des gardiens armés, des patrouilles de police, des murs infranchissables et du barbelé. Une chance sur un million de réussir. Ils y sont quand même allés juste pour tenir leur promesse. Les deux hommes furent blessés par balle… mais ne réussirent pas leur pari.

« Le passe-temps de certaines personnes, c’est le golf, le ski… Moi, je relaxe sur l’attaque à main armée… Je ne vis que pour le risque. Je sais que c’est con, mais j’aime risquer ma peau. J’ai dépassé le stade de la peur, je ne sais plus ce que c’est… Je suis dangereux pour cette simple raison. »
En plus de cent braquages de banque, Mesrine ne s’est jamais fait arrêter par la police.

« Le milieu n’est pas le monde de l’honneur et de l’amitié à toute épreuve comme trop de films le montrent à tort. Les hommes, les vrais, sont rares. A la vérité, c’est le monde de l’embrouille, de l’enculade, du m’as-tu-vu, de l’orgueil démesuré, un monde de frimeurs. »
Si Mesrine a violé la loi à d’innombrables reprises, il a toujours respecté les règles de son milieu : aide aux amis en difficulté, mise à mort sauvage pour les traîtres, bouche cousue devant la police…

Le principe de la douane m’a toujours fait sourire, car j’ai toujours voyagé avec une arme dans ma valise et je n’ai jamais subi de contrôle. »
De l’audace, un talent d’acteur certain, le sens du déguisement, le verbe facile, c’est aussi cela être l’ennemi public numéro 1.

« Au Québec, j’allais devenir un des pires criminels que la province ait connus. J’allais y kidnapper un milliardaire, y être accusé d’un meurtre que je n’avais pas commis, être acquitté de ce même meurtre, condamné à onze ans de pénitencier pour attaque à main armée, m’évader, être repris, tenter d’autres évasions… puis réussir l’évasion impossible du plus dur pénitencier canadien, attaquer des banques, avoir des fusillades avec la police, abattre des gardes provinciaux, y régler des comptes et, pour couronner le tout, attaquer un pénitencier fédéral pour tenter d’y libérer des amis… Et malgré cela, ma tête mise à prix, je réussis à quitter le pays. »





3.3.09

Zidane, la face cachée

« J’ai 26 ans et je possède tout : une femme, des enfants, de l’argent et une carrière exceptionnelle. Ma vie est terminée. »
Zinedine Zidane, automne 1998

C’est une arabesque, une icône, un rêve matérialisé. C’est un trait de génie dans une forêt de jambes maladroites. C’est un artiste contemporain qui jouait du ballon comme d’autres du pinceau. C’est un but incroyable, une frappe pure, une tête glorieuse, un titre majeur. C’est l’espoir quand l’audience se résigne. C’est la joie d’avant match et d’après victoire. C’est l’insensé qui se réalise. Voilà ce qu’est Zidane.

On le connaît tous. A notre insu, il est entré dans chacun d’entre nous. Il a atteint un tel niveau d’excellence que même les footballophobes ont été contraints de s’intéresser à son cas. Et pourtant, qui connaît vraiment Zidane ? Qu’y a-t-il derrière cette image d’Epinal, derrière ce garçon timide devenu roi du ballon rond ? C’est à ces questions qu’a voulu répondre la journaliste Besma Lahouri dans son enquête, Zidane, une vie secrète. Le livre s’arrête sur les nombreuses parts d’ombre de l’ancien capitaine des Bleus. Reposant sur 40 chapitres très courts, il révèle quelques anecdotes affriolantes sur la vie sportive du natif de la Castellane (Lors de la finale du mondial 2006, Domenech avait prévu de le sortir cinq minutes avant la fin du match… - Lorsque l’arbitre lui montre le rouge, il demande à Zidane : « Que s’est-il passé ? » et l’idole de répondre : « Le rouge, je le mérite ! Ne vous inquiétez pas. » - Zidane change de numéro de portable tous les six mois pour ne pas être harcelé au téléphone - Il a gagné 80 millions d’euros en 17 saisons, soit une moyenne de 13.000 euros par jour pendant 6 200 jours…).

Mais surtout, il met en lumière l’après carrière du meneur de jeu : ou quand l’artiste devient homme d’affaire. Car aujourd’hui, Zidane, c’est une marque qui rapporte. Pour lui d’abord (environ 3,5 millions de contrats publicitaires par an). Pour de nombreuses sociétés surtout : Danone, Adidas, Orange, Grand Optical et une petite demi-douzaine d’autres entreprises profitent de son image de gendre idéal pour apparaître tendance aux yeux de l’opinion et remobiliser les troupes quand il y a lieu de le faire. Avec le temps, Zidane est devenu un habile négociateur. Riche comme Crésus, il ne lâche pourtant pas le moindre euro lorsqu’il s’agit d’utiliser son image à des fins commerciales. Dans la vie comme sur le terrain, Zidane sent les coups et sait jouer juste quand il y a beaucoup d’argent en jeu.

Malgré ces révélations, l’ouvrage de Besma Lahouri nous laisse un peu sur notre faim. D’abord parce que très peu d’anciens coéquipiers (pour ne pas dire aucun) n’ont voulu témoigner. Ensuite parce qu’il ne fait que survoler de nombreuses parties de sa personnalité (comment évoquer son caractère boute-en-train en 3 pages et demi ?). Il est surtout truffé d’erreurs sur l’historique de sa carrière sportive (voir ci-dessous). Dès lors, on se demande si les deux cambriolages dont ont été victimes l’éditeur puis la meilleure amie de Besma Lahouri n’en révèlent pas un peu plus sur Zinedine Zidane que le contenu-même de l’enquête[1]

Samuel Duhamel

[1] Simple hasard ou vraie tentative d’intimidation, deux proches de la journaliste se sont fait dérober leur manuscrit à quelques semaines de la parution de l’ouvrage.





Zidane, une vie secrète de Besma Lahouri, éd. Flammarion Enquête, 2008, 20 €


Une enquête truffée d’erreurs

Zidane, une vie secrète n’a pas été écrit par une spécialiste mais par une journaliste indépendante s’intéressant au phénomène Zidane. Malheureusement cela se voit ! Voici la liste de confusions ou approximations contenues dans le livre.


« En Corée et au Japon, les Bleus n’avaient même pas franchi le deuxième tour. » (page 53)
En fait, ce n’est pas le deuxième tour qu’ils n’ont pas franchi mais bien le premier.

« …alors qu’on croyait la Coupe du monde 2006 jouée d’avance. » (page 53)
Ah oui ! Pour qui ?

« La roulette, c’est cette action qui consiste à enrouler le ballon du pied derrière son dos avant de le lancer en l’air. » (page 55)
Faux. La roulette est un dribble consistant à éliminer un adversaire en roulant sur le ballon tout en effectuant une rotation de 360°, de telle sorte qu’à la fin du geste, le joueur se retrouve exactement dans la même position qu’au début du dribble mais avec l’adversaire derrière lui.

« A la surprise générale, David Ginola et Eric Cantona, les deux chouchous du football français, n’ont pas été retenu pour la Coupe du monde 98. » (page 84)
Cette simple phrase contient à la fois une confusion, une approximation et une erreur. Lahouri confond d’abord tacitement Euro 96 et Coupe du monde 98. En 1996, Ginola et Cantona éblouissent de leur talent la Premier League (le championnat anglais). Beaucoup d’observateurs ne comprennent pas pourquoi Jacquet ne les sélectionne pas pour l’Euro anglais. Toutefois, et c’est là que survient l’approximation, cela ne constitue pas une « surprise générale » car Jacquet a toujours été fidèle à ses convictions : il ne sélectionnera pas ces deux attaquants doués certes, mais aussi difficilement gérables. Enfin, l’erreur, c’est qu’en 1998, Eric Cantona n’est plus un joueur mais un retraité du football.

« Sélectionné pour les phases qualificatives du Mondial 94, il s’est fait remarquer en marquant deux buts. » (page 85)
Faux. La première sélection de Zidane intervient en match amical le 17 août 94, soit après la Coupe du monde. Il marque alors ses deux premiers buts contre la République tchèque.

« [Lors de la séance des tirs aux buts du Mondial 98 contre l’Italie,] Blanc creuse l’écart à nouveau. » (page 90)
Comment peut-il creuser l’écart alors que les deux équipes sont alors à égalité 3-3 ? Blanc ne creuse pas l’écart, il redonne un but d’avance à la France.

«[Lors de la séance des tirs aux buts du Mondial 98 contre l’Italie,] Barthez a arrêté deux buts. » (page 91)
Là-encore, une approximation et une erreur. Les gardiens n’arrêtent pas des buts mais des frappes ou des ballons. Par ailleurs, Barthez n’a stoppé qu’une seule frappe, celle d’Albertini. Le tir de Di Biagio a lui été dévié par la transversale.

« En demi-finale contre la Croatie, la France est menée 1-0 à la mi-temps. » (page 92)
Faux. A la mi-temps, le score est de 0-0.

« France – Brésil : voilà une affiche alléchante pour la finale. Brazil, Brazil ! » (page 93)
Pourquoi s’obstiner à écrire Brasil avec un « z » alors qu’on l’écrit avec un « s » en portugais.

« Jacques Chirac réserve aux champions un accueil enthousiaste, les félicitant d’avoir gagné le championnat de France. » (page 101)
Faux. Chirac commet en effet une erreur. Mais il présente le trophée comme la Coupe de France et non le Championnat de France.

« Michel Platini a été nommé deux fois meilleur joueur de tous les temps par France Football. » (page 215)
Encore faux. France Football a attribué à trois reprises le Ballon d’or de meilleur joueur européen de l’année à Platini. Par ailleurs, Platoche a été élu footballeur français du siècle puis meilleur joueur de l’histoire des Bleus par le bi-hebdomadaire.

« Pierre Ménès mesure 1 mètre 90 pour 100 kilos. » (page 224)
10 centimètres de moins et 25 kilos de plus, voilà à quoi ressemble Pierre Ménès.
NB : Besma Lahouri a corrigé la grande majorité de ses erreurs dans l'édition de poche, après en avoir pris connsaissance sur ce blog. C'est tout à son honneur !