27.7.08

Le capitalisme doit mourir (ou alors ça sera nous) !

« Il va falloir apprendre à vivre ensemble comme des frères sinon nous mourrons seuls comme des idiots. »
Gandhi
Un milliard de personnes survivent avec moins d’un dollar par jour[1], 1,1 milliard d’êtres humains n’ont pas accès à l’eau potable [2] , deux milliards d’individus souffrent de carences alimentaires[3], 35 000 personnes meurent de faim chaque jour[4], l’équivalent d’un terrain de foot est déboisé chaque seconde [5]... Vous en voulez encore ? Tant pis ! Six milliards de citoyens ne partent jamais en vacances[6], les 500 capitalistes les plus fortunés sont plus riches que les 416 millions de miséreux les plus pauvres[7], la Chine compte 10 millions de chômeurs de plus chaque année malgré une croissance à deux chiffres[8] , un Terrien sur six vit dans un bidonville[9], le chômage a augmenté de 22% lors des dix dernières années dans le monde[10] … Vous ne voyez aucun rapport entre ces chiffres ? Pourtant, il y en a un ! Il fait l’objet du dernier livre d’Hervé Kempf, Comment les riches détruisent la planète. Un ouvrage simple et pédagogique qui explique que l’écologie n’est pas compatible avec le capitalisme.

La thèse de Kempf, journaliste d’environnement au Monde, tient en une phrase : ce sont les riches qui font de la planète un endroit potentiellement inhabitable et c’est donc à eux de faire les efforts pour maintenir la possibilité d’une vie humaine sur Terre. S’appuyant sur la Théorie de la classe de loisir de Thorstein Veblen, Kempf explique pourquoi le système économique global ne change pas malgré les injustices qu’il génère et l’impasse environnementale à laquelle il mène. Déni de la gravité de la situation, méconnaissances des élites dirigeantes, mimétisme et soif de reconnaissance sociale sont les causes de cet immobilisme aveugle et meurtrier. Car pour Kempf, crises sociales et écologiques sont liées. Les ressources terrestres étant limitées, si un occidental moyen s’enrichit, il empêche un Africain lambda des sortir de la misère. La clé n’est donc pas dans le « travailler plus pour gagner plus » mais dans le « consommer moins, répartir mieux ». Une révolution mentale indispensable pour sortir la majorité de la population mondiale du dénuement et permettre à nos enfants de vivre dignement sur Terre dans quelques années.
Le livre de Kempf repose sur deux éléments indépassables : le savoir et l’humanisme. Kempf est sans doute l’un des journalistes écologistes les plus calés en Europe. En vingt ans de métier, il a rencontré les principaux experts en environnement, a couvert toutes les rencontres internationales sur l’Ecologie avec un œil critique et avisé. Mais Kempf, c’est aussi un penseur du social, un humaniste consterné par le sort réservé aux trois quarts de la population mondiale. Quand les connaissances rencontrent la sensibilité, c’est de l’intelligence pure qui jaillit. Malgré un titre un peu racoleur, Comment les riches détruisent la planète est donc un ouvrage d’intérêt général, un livre qui devrait être distribué dans toutes les classes de sixième. Car qu’on le veuille ou non, si le capitalisme productiviste mondialisé[11] ne tombe pas, c’est bien l’Humanité qui tombera à sa place.
Samuel Duhamel
Comment les riches détruisent la planète, d’Hervé Kempf, éd. Seuil, 2007, 148 p., 14 €


[1] Rapport du Programme des Nations Unies pour le Développement (PNUD), 2006
[2]Rapport du PNUD, 2006
[3]Rapport de l’Organisation pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), 2006
[4] D’après Jean Ziegler, ancien rapporteur spécial des Nations Unies pour le droit à l’alimentation, auteur des Nouveaux Maîtres du Monde et ceux qui leur résistent, 2002
[5] D’après Simon Retallack, directeur éditorial de The Ecologist, auteur de Stop, 2003
[6]D’après Rodolphe Christin, auteur du Manuel de l’antitourisme, 2008
[7] Rapport du PNUD, 2006
[8]D’après Juan Somavia, directeur général du Bureau International du Travail (BIT)
[9]D’après l’organisme des Nations Unies chargé de l’habitat
[10]D’après le BIT, 2005
[11] Système économique, apparu vers 1850, reposant sur la propriété privée des moyens de production et dont la finalité est l’accroissement du profit par le biais de l’augmentation continue des rendements et de la consommation.

Une enquête politique royale

« Si Hollande et Royal avaient réussi à travailler ensemble, ils auraient été imbattables. Il tenait le parti, elle avait le charisme et la popularité. Ils ne pouvaient que réussir. Mais leur mésentente les a plombés. »
Raphaëlle Bacqué, journaliste au service politique du Monde, auteur avec Ariane Chemin de La femme fatale
La démocratie des sondages. Voilà ce qui a porté une femme politique élégante et ambitieuse aux portes de l’Elysée. En politique, de bons sondages, ç’est utile, mais pour devenir la première Présidente de l’Histoire de France, cela ne suffit pas. Tel est le constat sévère mais juste que dressent les journalistes Raphaëlle Bacqué et Ariane Chemin dans leur excellente enquête sur Ségolène Royal.
Le livre revient sur la folle envolée de la députée des Deux-Sèvres dans les enquêtes d’opinion, quelques mois avant l’élection présidentielle de 2007. Avec précision, minutie et en évitant d’éventuels détails scabreux touchant au privé ou à l’intime. Dans La Femme fatale, ce sont les arcanes du pouvoir qui sont mis en lumière. On y apprend quelques informations croustillantes sur la manière dont le couple Royal – Hollande s’est désagrégé à mesure qu’avançait la campagne ou sur la haine mutuelle que se portaient Royal et Strauss-Kahn.
Mais surtout on découvre comment l’ancienne ministre de la Famille a perdu une élection qu’elle aurait dû gagner. La campagne de Royal, c’était avant tout la campagne d’une femme seule qui n’a pas eu confiance en son entourage. La candidate s’est construite politiquement en éliminant ses proches, jamais en les rassemblant. Rejet de son compagnon, François Hollande, premier secrétaire du PS, rejet des éléphants, Fabius et DSK, qu’elle n’a jamais souhaité rappeler après leur défaite lors de la primaire, rejet du PS dans son ensemble. Les erreurs furent nombreuses : la fameuse « bravitude » chinoise, les gaffes médiatiques en tout genre, l’éloignement de sa conseillère en environnement lors de l’annonce de la non-candidature d’Hulot, sa trop grande fragilité dans domaines importants comme la politique étrangère ou l’économie… Royal avait des failles. Elle n’a pas voulu s’en rendre compte
L’analyse de Bacqué et Chemin est d’une clairvoyance admirable. Le souci du détail est proprement hallucinant, la distance éclairée avec laquelle les journalistes énumèrent les faits est un modèle du genre. Leur enquête politique se lit comme un roman dont on connaît la fin. Une fin finalement sans surprise quand on analyse d’aussi près le parcours politique de Royal, la femme fatale.
Samuel Duhamel
La femme fatale, de Raphaëlle Bacqué et Ariane Chemin, éd. Albin Michel, 240 pages, 18 euros

10.7.08

Domenech, entraîneur sans succès

Comment peut-on devenir (et rester) sélectionneur de l’équipe de France en étant buté, agressif et surtout inefficace ? La question se pose à la lecture de Domenech, la biographie qu’a consacrée Joël Domenighetti à l’entraîneur des Bleus. L’ouvrage revient sur les principales étapes de la vie de l’ancien latéral droit lyonnais : de sa jeunesse catalane jusqu’à la préparation de l’Euro 2008, en passant par son époque patte d’éph’, grosse moustache et « tacles à la hanche », ses échecs répétés comme entraîneur et sa courte carrière de comédien. Son caractère complexe (la fierté des origines, la provocation dans le sang, l’assurance de façade troublée par le doute intérieur…) est disséqué par ses proches, ses collègues et ses adversaires. Domenech, lui, ne dit rien ou presque. Il s’était engagé à donner trois interviews au journaliste de l’Equipe. Il n’en accordera qu’une seule. Absent lors des rendez-vous importants. Un rituel pour le sélectionneur…
Car qu’on l’admire ou qu’on le déteste, Domenech est un éternel perdant. Non pas un perdant héroïque, presque romantique comme le furent Hidalgo en 1982, Zoff en 2000 ou Van Basten en 2008. Non, Domenech est juste un perdant sans talent. Le constat est amer mais il est validé par les faits avancés par l’ouvrage. Le joueur a certes réalisé une carrière admirable ponctuée par deux titres de champion de France, deux coupes nationales et huit sélections chez les Bleus. Mais que dire de l’entraîneur ? Lorsqu’il arrive à Mulhouse, il veut faire monter le club en D1. Trois essais, trois échecs ! Son successeur, Didier Notheaux, réussira lui du premier coup. A Lyon, il achève sa carrière d’entraîneur de club avec une 16e puis une 14e place. Des performances médiocres qui lui permettent d’accéder directement au poste de sélectionneur des Bleuets. Là, c’est l’escalade : aucun succès en six participations à l’Euro Espoir, pas de qualification pour les JO de Sidney, pas de qualification non plus pour les JO d’Athènes. Des résultats consternants qui font de lui le sélectionneur actuel des Bleus.
En 23 ans de carrière d’entraîneur, Domenech a remporté 4 titres : champion de D2 avec Lyon, deux fois vainqueur du tournoi de Toulon et vainqueur du tournoi de Casablanca avec les Espoirs. C’est peu. A la lumière de du fiasco des Bleus lors de l’Euro 2008, la question se pose toujours : comment peut-on devenir (et rester) sélectionneur de l’équipe de France en étant buté, agressif et surtout inefficace?
L’ouvrage de Domenighetti ne répond pas à la question. Mais il a le mérite de la poser tacitement. C’est déjà pas mal.
Samuel Duhamel
Domenech, de Joël Domenighetti, éd. Du Moment, 177 pages, 19,95 euros