27.8.06

Portfolio : il y a un an, le drame d'Auriol

"Lorsque Nicolas Sarkozy arriva sur les lieux, il nous demanda si nous étions en situation régulière. Nous l'étions mais nos enfants étaient morts. Carbonisés." Kanouté Tapa, secrétaire général de l'association des victimes du 26 août







Un an après la mort des petits Mahamadou, Habi, Kadja, Gagny et des autres dans l'incendie de l'immeuble du 20, boulevard Auriol (Paris XIIIème), la question du logement insalubre reste toujours sans réponse dans la "patrie des droits de l'Homme". C'est pour dénoncer cet état de fait et se souvenir des 17 personnes dont 14 enfants disparus que plus de 300 citoyens se sont rassemblés ce 26 août, sur la parvis de la mairie du XIIIème. Un an après le drame, plus de trois millions de Français et d'étrangers restent mal-logés dans l'Hexagone.
Samuel Duhamel
"S'il y a bien un coupable dans l'incendie d'Auriol, c'est tout ce tas de gens qui n'ont pas de papier pour certains et qui s'entassent à Paris alors qu'il n'y a pas de conditions pour les loger."
Nicolas Sarkozy, le 26 août 2005, devant l'immeuble du 20 boulevard Vincent Auriol encore fumant

16.8.06

Interview d'Arno Klarsfeld

«Aucun mineur ayant des attaches en France ne sera expulsé»
Arno Klarsfeld, médiateur national (en charge des cas litigieux dans le cadre de la procédure de régularisation ouverte par la circulaire du 13 juin pour les familles d'élèves sans papiers)

A 3 jours de la date limite de demandes de régularisation, combien de dossiers ont été déposés en préfecture ?
Le ministre d'Etat a fait connaître sa projection le 24 juillet dernier : environ 6000 régularisations sur 20000 dossiers déposés en préfecture. Il a estimé qu'environ 30% des demandes des demandes seraient satisfaites. Je ne vois pas pourquoi cela changerait aujourd'hui. Ca sera peut-être un peu plus ou un peu moins mais on restera dans ces eaux-là.

Combien de cas litigieux avez-vous épluchés ?
On m'a envoyé environ 200 dossiers pour le moment. Ce sont généralement des demandes qui ne rentrent pas complètement dans le cadre de la circulaire ministérielle et qui nécessitent davantage d'attention. Je reçois des dossiers de genres différents. Certains ne rentrent pas dans mes prérogatives comme les demandes de regroupement familial ou de célibataire sans enfant... Mardi, Réseau éducation sans frontière m'a envoyé des demandes de régularisation pour trois familles : dans la première, le père a fait trois mois de prison, dans la deuxième, l'enfant a été scolarisé après septembre 2005 et la troisième est du ressort de la Convention de Dublin (droit d'asile). Quand je reçois des demandes de familles entrant dans le cadre de la circulaire et ne comportant aucune spécificité, je les renvoie directement à la préfecture compétente : je ne suis chargé que des cas litigieux.

Quels sont vos critères pour décider si, oui ou non, vous régularisez une famille ?Je ne décide rien du tout. Je ne fais qu’éplucher des dossiers, rencontrer les familles, comprendre leurs vies pour me faire une impression sur la pertinence de la demande. Ensuite, je transmets mon sentiment au Préfet, responsable des régularisations. C’est l’administration qui prend la décision finale. Moi, je ne suis que médiateur, c’est-à-dire celui qui fait le lien entre les familles en situation irrégulière et la préfecture. Toutefois, quand j’étudie un cas, j’ai une ligne directrice : il ne faut pas expulser les familles dont les enfants ont de fortes attaches en France. Les enfants n’ayant pas de lien avec le pays de leurs parents ne seront expatriés. Nous ne voulons pas déraciner les mineurs qui se sentent chez eux en France.

L’Espagne a procédé à 700 000 régularisations en 2005, l’Italie à 350 000 le mois dernier et s’apprête à accorder des papiers à un million d’étrangers irréguliers d’ici la fin de l’année. Avec ses 400 000 clandestins estimés, pourquoi la France ne fait-elle pas de même ? Pourquoi la France ne régularise pas massivement ?
L’Italie et l’Espagne étaient des terres d’émigration qui sont devenues des terres d’immigration. Par le passé, ces pays ont accueilli beaucoup moins d’étrangers que la France. Leur situation n’est donc pas comparable à la nôtre. Par ailleurs, ce sont des pays dont l’indice de natalité est faible et qui sont en recherche de main d’œuvre. La régularisation d’étrangers clandestins peut donc leur redonner du dynamisme. Mais même là-bas, je ne crois pas que la régularisation en masse soit la meilleure solution. A mon avis, l’Espagne et l’Italie vont au devant de graves problèmes d’intégration. Je tiens également à dénoncer la position démagogique des partis et associations d’extrême gauche qui tentent de nous faire croire qu’une régularisation massive est possible en France. Quand on dit « non » au traité constitutionnel européen parce qu’on a peur d’être envahis par des plombiers polonais et qu’on assure, quelques mois après, que faire régulariser tous les clandestins est une bonne solution pour la en France, on n’est pas crédibles.

Réseau éducation sans frontières (RESF) craint que les jeunes majeurs bénéficient de moins d’indulgence que les mineurs en vue d’une éventuelle régularisation. Certains parlent de « chasse aux lycéens ».Qu’en pensez-vous ?
Ca n’a aucun sens. Les jeunes majeurs qui sont en situation irrégulière seront expulsés. C’est tout. Il n’y a rien d’inhumain à renvoyer un jeune homme de vingt ans dans son pays d’origine si celui-ci est arrivé en France à quinze ans. Mais la situation des majeurs n’entre pas dans le cadre de ma mission.

Justement, êtes-vous déçu de ne devoir vous occuper que des cas litigieux concernant les mineurs ?
Absolument pas. Je suis allé voir Nicolas Sarkozy pour lui témoigner de mon intérêt pour les questions concernant les jeunes de moins de 18 ans. En me nommant médiateur national, le ministre d’Etat me pense compétent pour analyser les dossiers des mineurs. C’était mon objectif initial, j’en suis très satisfait. M’occuper des mineurs me prend déjà beaucoup de temps : je dois lire les dossiers, les transmettre aux préfectures, faire une travail de pédagogie auprès des familles, rencontrer les gens, faire des voyages… Ce travail sera bénéfique car il n’y aura pas d’expulsion de familles dont les enfants ont de fortes attaches en France.

Mais alors pourquoi vous prononcez-vous aussi sur des cas de jeunes majeurs comme celui de Jeff qui devrait être renvoyé au Nigéria ?
Simplement parce qu’on me l’a demandé. Quand on me questionne sur des cas comme celui-ci, je ne réponds pas en tant que médiateur national mais en tant que citoyen. Le cas de Jeff m’a interpellé car il n’a plus aucun lien dans son pays d’origine : plus de famille, plus d’amis. Il s’est créé une nouvelle vie ici : il a appris le français, réussit ses études, a une famille d’accueil… Certaines expulsions de majeurs peuvent également être injustes. J’essaie donc d’apporter mon soutien aux associations pour qu’il ne soit pas renvoyé. Je me satisfais d’ailleurs du contrat d’embauche qui lui a été proposé par la mairie du XIème. C’est un argument de plus pour qu’il reste ici.

Propos recueillis par Samuel Duhamel

7.8.06

Opprimés au Sri Lanka, les Tamouls manifestent pacifiquement en France

« Nous voulons la paix avec les Cinghalais ! Respectez nos vies ! Nous ne sommes pas de chair à canon ! » Les messages des 37 associations des Tamouls de France ont beau être limpides, ils ne sont pas entendus. Snobés par les médias, ignorés par l’opinion publique, dénigrés par les instances internationales, les Tamouls continuent de montrer patte blanche en manifestant dans les rues de Paris. Mardi 25 juillet, ils étaient plusieurs milliers sur le Champ-de-Mars à Paris pour dire « non » à la répression dont ils sont victimes au Sri Lanka.
Sur la pelouse jaunie par un soleil ardent, les Tamouls défilent pour la paix de la plus belle des manières : en dansant et avec le sourire. Sur une estrade montée pour l’occasion, un animateur appelle les participants à entonner des chants traditionnels. Les couleurs rouge et jaune du peuple tamoul, présentes sur les vêtements et les calicots, interpellent les touristes incrédules. Rires, ambiance bon enfant, plaisir d’être ensemble… On en oublierait presque les raisons du rassemblement.
Au milieu de l’assemblée, un cercueil en carton trône majestueusement. Il représente les 3 000 Tamouls exterminés par l’armée cinghalaise les 22, 23 et 24 juillet 1983, lors de l’épisode de « juillet noir ». Morts pour être nés, morts pour rien... Vingt-trois ans après, on ne peut pas oublier pareille cicatrice. Surtout dans le contexte actuel : le 29 mai dernier, le conseil de l’Union européenne a décidé de mettre les représentants tamouls des Tigres Libérateurs de l’Eelam (LTTE) sur sa liste des organisations terroristes.
Difficile de faire plus cynique ! Certes, les Tigres tamouls utilisent la violence, via les attentats suicides notamment, mais que faire quand ses droits sont bafoués, quand l’Etat sri lankais réprime dans le sang, quand l’espoir a fui ? Gare toutefois au manichéisme : si les indépendantistes tamouls ne sont pas tous des anges, le gouvernement sri lankais n’est pas composé uniquement de bureaucrates sanguinaires et véreux. Mais à voir les Tamouls de France manifester à l’ombre de la Tour Eiffel avec autant d’enthousiasme, on s’étonne de voir la communauté internationale agir de manière si arbitraire avec leurs représentants.
Au même titre que les Tchétchènes, les Kurdes ou les Palestiniens, les Tamouls sri lankais font partie de la catégorie des sans-grade : celle des nations sans Etat, celle des damnés de la terre... Puisse leur appel pour la paix et la liberté être un jour entendu.

Samuel Duhamel

Retour sur la « sale guerre » qui mine le Sri Lanka

1796 : après avoir été sous domination portugaise au XVIIème siècle et hollandaise au XVIIIème, l’île de Ceylan tombe sous le contrôle de l’Empire Britannique.

04 février 1948 : l’île de Ceylan obtient son indépendance. Avant leur départ, les Britanniques instaurent un régime parlementaire dominé par deux partis ethniques cinghalais. C’est le début de la discrimination anti-Tamouls.

1956 : le cinghalais, parlé par 70 % de la population, devient la langue officielle de l’île de Ceylan. La langue tamoule utilisée par 15 % des habitants est marginalisée.

Début des années 70 : devant les humiliations et les violences dont ils sont victimes, des Tamouls décident de créer les « Tamoul New Tigers », un groupe radical armé revendiquant l’indépendance du nord-est de l’île de Ceylan. Les TNT deviennent les Tigres de libération de l’Eelam tamoul (LTTE) en 1976.

1972 : proclamation de la République : l’île de Ceylan devient le Sri Lanka.

Juillet 1983 : après un attentat des LTTE tuant douze soldats cinghalais, le président sri lankais Jayavardne ordonne à l’armée sri lankaise de réprimer « dans le sang » la population civile tamoule : 3 000 morts, 3 000 blessés, 150 000 personnes déplacées, c’est l’épisode du « black July » (juillet noir).

1987 : sous l’égide de l’Inde, un accord de paix est signé entre gouvernement sri lankais et indépendantistes tamouls.

1988 : le tamoul devient la seconde langue officielle du pays.

Début des années 90 : continuant à être moins bien traités que les Cinghalais (discriminations dans la fonction publique, inégalités devant la justice…), les LTTE reprennent les armes pour obtenir l’indépendance. Ils commettent de multiples attentats sanglants perdant ainsi leur légitimité aux yeux de l’opinion publique mondiale.

Février 2002 : cessez-le-feu obtenu grâce à la mission de surveillance du Sri Lanka (Danemark, Suède, Finlande et Norvège). Les LTTE excluent tout démantèlement de ses troupes et ne renoncent pas à l’indépendance du nord du Sri Lanka.

Au total, ce sont plus de 60 000 personnes, en grande majorité tamouls, qui ont péri dans la sale guerre du Sri Lanka. Aujourd’hui, malgré les quelques concessions effectuées par les LTTE en 2003 et les efforts de la Norvège pour trouver une solution au conflit, l’espoir d’une paix durable semble inaccessible…

Samuel Duhamel