Jean-Pierre Marongiu est un homme
brillant. Ingénieur hautement qualifié dans le secteur d’extraction de gaz et
de pétrole, entrepreneur à succès, conférencier respecté, écrivain prometteur, citoyen
du monde ayant vécu notamment en Malaisie, en Thaïlande et en Angola, président
de l’Union des Français de l’Étranger au Qatar, humaniste de gauche habitué aux
dîners mondains avec consuls, ambassadeurs ou politiques de premier plan, marié
et père heureux de quatre enfants… Il fait partie de ces managers visionnaires
qui transforment en or tout ce qu’ils touchent ou presque. Pourtant, Marongiu
moisit depuis près d’un an, dans une cellule crasseuse de 36 m² qu’il partage
avec neuf autres détenus de la prison centrale de Doha, la capitale du Qatar.
En décembre dernier, nous avons pu échanger avec lui quelques messages par téléphone. Son moral était alors au
plus bas. Après une grève de la faim de quarante jours, le Lorrain de 53 ans
nous confiait vouloir en finir avec la vie, désespéré de voir le président
Hollande ne pas répondre à ses appels au secours. Car Marongiu le clame haut et
fort : il est innocent ! Risquant jusqu’à dix ans de prison pour
avoir signé huit chèques sans provision, l’ingénieur explique s’être fait
rouler par son ancien associé qatarien, lequel lui aurait dérobé son argent. Voilà
sa vérité, celle qu’il dévoile aujourd’hui dans un ouvrage intitulé
« Qaptif ! ». Écrit clandestinement en prison, le livre revient
sur son arrivée au Qatar en 2005, sur la création du « projet de [s]a vie », un centre de formation au
management à Doha et surtout sur son interminable descente aux enfers. Car
avant d’être incarcéré dans sa cellule, Marongiu était également enfermé… à
ciel ouvert, dans cet émirat du Moyen Orient grand comme le Nord-Pas-de-Calais.
La raison ? La loi de la kafala ! Elle permet aux entrepreneurs
qatariens de décider si, oui ou non, leurs associés étrangers peuvent quitter
le territoire. Brouillé avec son sponsor, Marongiu ne pouvait légalement pas
rentrer en France malgré la faillite de son entreprise. Alors, il a opté pour
une voie illégale.
Pour quitter le Qatar, trois options
se présentaient à lui : faire appel à des mercenaires spécialisés dans
l’exfiltration des ressortissants étrangers, traverser seul, à pied, les 400
kilomètres du désert saoudien pour gagner Ryad ou partir en canoë-kayak,
direction l’île de Bahreïn située à une cinquantaine de kilomètres. Seul, désespéré,
Marongiu a d’abord contacté deux agences de sécurité étrangères qui lui
promettaient une traversée de la frontière sans encombre. Mauvais choix :
30 000 euros transférés sur leurs comptes pour financer les opérations
d’exfiltration et plus aucun contact dans la foulée… Deuxième option : la
marche saoudienne. Nouvel échec : le désert n’est pas qu’une étendue de
sable fin. C’est aussi un espace marécageux où l’on s’enfonce sans pouvoir
avancer. Arrestation par la police côtière qatarienne et retour à la case
départ. C’est donc par la voie maritime que l’ingénieur lorrain trouverait son
salut. Il fit appel à une nouvelle agence de sécurité. Le plan ? Ramer
vers Bahreïn avant de s’envoler vers la France. Après huit ans au Qatar,
Marongiu était prêt à tout y compris à mourir en mer. Avec un membre de
l’agence chargée de son exfiltration, il rama toute une nuit pour finalement
voir son canoë-kayak se disloquer sous la force des vagues. Sauvé par des
pêcheurs bengalis qui passaient par là, il atteignit enfin Bahreïn où il alla
demander l’aide du consul et de l’ambassadeur de France. Mais, les forces
diplomatiques hexagonales n’ont pas souhaité donner suite à son aventure.
Marongiu fut finalement arrêté à l’aéroport de Manama, la capitale du Bahreïn,
avant d’être reconduit manu militari
dans une prison qatarienne.
S’il ne relatait pas une histoire
vraie, profondément dramatique, on pourrait dire de « Qaptif ! »
qu’il est un livre d’aventures passionnant. Mais ce témoignage, écrit dans un
français soigné, presque raffiné, est avant tout un appel au secours à
considérer comme tel. Dicté par Jean-Pierre Marongiu à ses proches lors de
conversations téléphoniques interdites en prison, l’ouvrage est le fruit d’une
souffrance innommable. Celle d’un homme débonnaire et talentueux qui végète
dans une cellule à 5 000 kilomètres de chez lui. Celle d’un homme captif,
emprisonné dans l’enfer qatarien.
Samuel Duhamel
Qaptif !, Un
entrepreneur retenu au Qatar, de Jean-Pierre Marongiu, éditions Les
Nouveaux Auteurs, 460 pages, 19 € 95