26.1.10

Les concepts d’Ivan Illich

Comprendre la pensée d’Illich, c’est avant tout comprendre les concepts qu’il a fomentés. Car dans chacun de ses ouvrages, des thèmes référentiels reviennent. Ce qui est intéressant dans la réflexion d’Illich, ce sont moins les solutions de changement qu’il propose que le regard radicalement critique car radicalement humaniste qu’il jette sur nos institutions. Illich nous apprend à voir la réalité différemment, il en souligne les carences et les trop-pleins. Et ce regard critique s’appuie sur une pensée fine et aiguisée par des concepts nouveaux. Voici donc une liste non exhaustive des notions inventées par Illich avec leur signification et leur incidence sur notre vie quotidienne.

Monopole radical : dans de nombreux ouvrages, Illich dénonce le « monopole radical » que certaines institutions détiennent dans nos sociétés. L’école détient ainsi le « monopole radical » de l’éducation, les hôpitaux et les services médicaux le « monopole radical » des soins, la voiture et les autoroutes, celui du transport, la prison, celui de sanction lourde et d’expiation… Lorsqu’elles atteignent le statut de « monopole radical », c’est-à-dire qu’elles excluent et délégitiment toutes les autres formes possibles de transmission de l’éducation, de soins, de transport ou de sanction sociale, ces institutions deviennent dangereuses. Pour Illich, « monopole radical » s’oppose de front avec autonomie. Lorsqu’une institution détient le monopole, elle fait perdre à l’Homme son autonomie. Elle devient obligatoire et exclusive en cela qu’elle « condamne tout autre moyen de parvenir aux résultats recherchés ». Ainsi, l’Homme devient contraint par l’outil. Il ne contrôle donc plus les institutions, ce sont les institutions qui le contrôlent. Pour Illich, « il y a monopole radical lorsque l’outil programmé évince le pouvoir-faire de l’individu. Cette domination instaure la consommation obligatoire et dès lors restreint l’autonomie de la personne. »

Contre-productivité de l’outil : Illich montre que lorsqu’une institution accède au rang de « monopole radical », lorsqu’elle s’impose comme la seule voie possible, elle devient contre-productive. Ainsi, l’école censée intégrer l’élève dans une communauté et élever la pensée finit par exclure les non-diplômés et stériliser la réflexion. La voiture immobilise, la prison crée des brigands plutôt que d’honnêtes hommes… L’exemple du système médical est à ce sujet exemplaire : Illich montre que notre système médical est d’abord un système de soins avant d’être un système de santé. Il est quasiment exclusivement tourné vers la réparation et non la prévention. Seulement à force de vouloir guérir, le système rend malade. 5% de toutes les admissions dans les hôpitaux aux Etats-Unis ont comme motif une mauvaise réaction à un médicament, 20% des admis en hôpital universitaire y contractent une maladie, l’hôpital est l’une des branches industrielles les plus accidentogènes avec le secteur des mines et celui de la construction des bâtiments de grande hauteur… Face à ces institutions pourtant contre-productives, l’Homme devient sujet. Il espère un résultat immédiat de son passage dans l’institution, il est dans la consommation pure. Le moindre mal de tête ? La consommation de médicament. La nécessité de trouver un emploi ? La consommation d’heures de cours pour acquérir un diplôme ! La volonté de se déplacer ? « Chéri, démarre la voiture ! » Pourtant, en comparaison avec la bicyclette, une voiture peut-être jusqu’à quatre fois plus lente si l’on prend en compte le temps passé à travailler pour obtenir les ressources nécessaires au déplacement. Malgré les apparences, l’outil industriel est donc souvent un outil contre-productif.

Convivialité : Illich espère que l’Humanité prendra un jour conscience des chaînes qu’elle s’impose dans la société industrielle, qu’elle s’en libérera et créera une société opposée à celle d’aujourd’hui. Cette société, il l’appelle « conviviale ». Il la définit comme une société « où l’outil moderne est au service de la personne et non au service d’un corps de spécialistes. Conviviale est la société où l’homme contrôle l’outil. » La société conviviale s’appuie sur des valeurs de base : la survie, l’équité et l’autonomie qui sont le contraire des valeurs de base de la société industrielle : l’élimination, la contrainte et l’exclusion. La société propose donc un mode d’organisation sociale basé sur l’épanouissement. L’Homme, de sujet, devient acteur des institutions. Pour autant, comme le rappelle Illich, une société conviviale n’exclut pas obligatoirement les institutions reines de la société industrielle. Ainsi, elle « n’interdit pas l’école. Elle proscrit le système scolaire perverti en outil obligatoire, fondé sur la ségrégation et le rejet des recalés. » La convivialité représente donc la possibilité d’une vie autre, fondée sur la disparition de fléaux comme la précarité, le stress sociétal, l’isolement ou l’imposition de solutions clés en main. Elle permet de gagner en rendement social ce qu’elle fait perdre en rentabilité industrielle. Elle est basée sur l’être et non plus sur l’avoir. En un mot, elle génère moins de biens mais plus de liens.

Samuel Duhamel