8.2.10

Faut-il croire July, Kahn et Plenel ?

« Un journaliste est là pour déranger. Se déranger lui-même d’abord en découvrant des réalités qui le bousculent. Déranger le public en le faisant sortir de ses confortables certitudes. Et déranger les pouvoirs bien sûr car c’est en en se confrontant à l’espace public qu’ils sont amenés à rendre des comptes […]. »
Edwy Plenel

61% des Français estiment que les journalistes ne sont pas indépendants face aux pressions du pouvoir. 6 sur 10 mettent en doute la liberté des médias vis-à-vis de l’argent. 63% des journalistes jugent que leur métier a évolué négativement lors des dernières années … Le journalisme français se porterait-il donc si mal ? Les journalistes sont-ils responsables de la crise qui frappe leur secteur ? Peut-on au final croire ce que l’on lit dans la presse ou que l’on entend dans les journaux radios et à la télévision ?

Ces questions, Philippe Gavi les a posées à trois monstres sacrés du journalisme contemporain. Dans son livre d’entretiens Faut-il croire les journalistes ?, il donne la parole à Serge July, Jean-François Kahn et Edwy Plenel. Chacun leur tour, ces grands noms de la presse donnent leur opinion et expliquent ce qu’est le journalisme aujourd’hui et ce qu’il devrait être. Répercussions de l’arrivée d’Internet sur les médias traditionnels, rôle des éditorialistes dans les choix du public, poids du sarkozysme… Les principales questions que se pose le citoyen engagé sur l’évolution de la presse trouvent ici des réponses pertinentes et argumentées.

Si les propos de Serge July et de Jean-François Kahn sont intéressants, ceux d’Edwy Plenel sont plus que passionnants. Répondant le dernier aux interrogations de Gavi, il fait mouche à chaque réponse. Lire Plenel, c’est prendre une leçon de journalisme. Ses enquêtes incisives sur la présidence Mitterrand, son indépendance vis-à-vis des pouvoirs politique et économique et sa conception exigeante du métier font de lui un exemple de journaliste engagé. Dans le livre, Plenel rappelle les bases du métier, à savoir la recherche obstinée des faits tels qu’ils se sont passés, « ces petites vérités à la fois concrètes et momentanées, précises et circonscrites, pertinentes et éclairantes ». Ce sont ces faits qui dérangent nos certitudes et nous permettent d’y voir un peu plus clair jour après jour. Et pour découvrir ces faits, des règles doivent respecter : savoir dire non à la flatterie, connaître les motivations des sources, se soucier du contexte des révélations, mettre en perspective, avoir la mémoire des événements et des déclarations… Difficile mais indispensable. Plenel ranime la flamme du journaliste qui sommeille et invite à l’excellence. Il rappelle au citoyen le haut degré d’exigence qu’il est en droit d’attendre de la presse aujourd’hui. C’est en cela que son discours est salutaire.

S’appuyant sur un casting bien senti, Faut-il croire les journalistes ? est un ouvrage simple et pédagogique. Truffé d’anecdotes croustillantes, il met en perspective l’évolution du métier et la régression sont il est victime depuis la capitalisation des grands titres par des industriels proches du pouvoir et l’arrivée de Sarkozy au sommet de l’Etat. A lire pour rester debout, les yeux ouverts.

Samuel Duhamel

Faut-il croire les journalistes ? de Philippe Gavi, éditions Mordicus, Paris, 2009, 173 pages, 13€50

July, Kahn, Plenel : trois journalistes à la page

Serge July, 68 ans. Après des études d’histoire et de sociologie, il crée Libération en 1973 aux côtés de Jean-Paul Sartre et Philippe Gavi. Il dirige le quotidien jusqu’en 2006 à la suite d’un conflit avec Edouard de Rotschild, devenu actionnaire principal. Depuis lors, il est éditorialiste sur RTL et réalise des documentaires pour la télévision.

Jean-François Kahn, 72 ans. Ancien journaliste de Paris Presse, L’Express, Europe 1, Le Monde et les Nouvelles Littéraires, il crée L’Evénement du jeudi en 1984. Après dix ans de succès, la diffusion baisse et le journal doit déposer le bilan en 1994. Trois ans plus tard, Kahn rebondit avec un nouvel hebdomadaire, Marianne qu’il lance dans l’idée de pourfendre la pensée unique. Après avoir pris ses distances avec l’hebdo, il s’est lancé en politique lors des élections européennes de 2009 sous les couleurs du Modem de François Bayrou.

Edwy Plenel, 58 ans. Trotskiste dans sa jeunesse, Plenel écrit ses premiers papiers dans Rouge, le journal de la Ligue Communiste Révolutionnaire. En 1980, il entre au Monde où ses enquêtes minutieuses feront de lui la bête noire de François Mitterrand pour qui il admet avoir voté. Devenu rédacteur en chef en 1994, Plenel annonce sa démission dix ans plus tard à la suite de la parution d’un ouvrage critique sur le fonctionnement du journal (La face cachée du Monde de Pierre Péan et Philippe Cohen). En 2008, Plenel lance Mediapart, un journal sur Internet, foncièrement indépendant et ayant déjà déniché de nombreux scoops malgré une rédaction réduite.




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