12.9.10

Les damnés de la terre agricole

Ils s'appellent Mohamed, Guilhermino, Naïma, Hassan ou Salah Abdel. Comme tant d'autres, ces ouvriers horticoles traversent chaque printemps la mer Méditerranée pour offrir leur force de travail à de riches exploitants agricoles occidentaux. Pendant cinq ou six mois, ils répètent sans cesse les mêmes mouvements pénibles pour que nous puissions consommer fraises, oranges et tomates à longueur d'année. Ces saisonniers sont invisibles. On ne les entend jamais dans les médias. Pourtant, très souvent, leur quotidien ressemble un enfer. Cadences infernales, heures supplémentaires non rémunérées, exposition permanente aux pesticides, licenciements abusifs... Leurs vies sont conditionnées aux profits de l'industrie qui les emploie. On pourrait les appeler les damnés de la terre agricole. Dans son livre, Patrick Herman les surnomme Les nouveaux esclaves du capitalisme.

En cinq chapitres, l'auteur décrit les conditions de travail de ces salariés précaires, presqu'exclusivement étrangers, dans différentes régions du bassin méditerranéen. Et cela fait peur ! Car la « modernisation de l'agriculture » est peu regardante de la dignité humaine ou de la préservation de l'environnement. Avant, travailler dans un verger ou dans un champ, c'était extraire le meilleur de la terre nourricière pour le vendre à un prix juste sur les marchés locaux. Depuis cinquante ans, cela veut dire produire plus, plus vite et moins cher pour gagner des marchés, accroître continuellement la dose d'insecticides et ne plus respecter les rythmes biologiques. Bienvenue dans le monde de l'agribusiness où les fermes ont perdu leur visage humain !

En se rendant sur les lieux de production, en interviewant les saisonniers, Herman constate que cette exploitation est encouragée par les Etats eux-mêmes. Plus personne en Europe n'accepterait de travailler dans des serres pour ses salaires ridicules, dans des conditions pénibles et avec des cadences élevées ? Alors, il faut aller chercher ailleurs. Chaque année, plusieurs dizaines de milliers de Maghrébins, d'Ukrainiens ou de Sénégalais s'épuisent donc dans les champs espagnols ou français. L'agriculture figure en effet au premier rang des secteurs économiques gourmands en main-d'œuvre étrangère. Herman l'assure : « Ce ne sont pas les régularisations massives des sans-papiers qui créent l'appel d'air pour de nouvelles migrations, mais bien l'offre de travail permanente que proposent certains secteurs de l'économie. » En un sens, la venue des salariés agricoles étrangers sur nos territoires et la servitude dont ils ont victimes dans nos serres ne sont donc que les conséquences des impératifs de production de l'agriculture intensive.

Même si la démonstration d'Herman ne concerne que le secteur agricole, elle permettra peut être de réveiller les naïfs quant aux conséquences désastreuses du capitalisme libéral productiviste. A conseiller donc aux endormis mais aussi à tous ceux qui se sentent l'âme révolutionnaire sans trop savoir pourquoi !

Samuel Duhamel

Les nouveaux esclaves du capitalisme. Agriculture intensive et régression sociale : l'enquête de Patrick Herman, éditions au diable Vauvert, 407 pages, 2010, 23 euros