6.3.13

Lettre à Thierry Roland

16 juin 2012. Comme tous les matins depuis deux semaines, direction le centre média de l’équipe de France à Donetsk. Envoyé spécial de M6 en Ukraine, je suis le quotidien des tricolores et prends part à leurs conférences de presse. La veille, les Tricolores ont battu l’Ukraine 2-0, ils occupent la première place de leur groupe, le soleil brille dans un ciel tout bleu. Plénitude. Mais à mon arrivée sur place, mes confrères ont le visage fermé. Certains sont en pleurs. Que se passe-t-il ? « Thierry Roland est mort ! » La voix du foot s’est éteinte à Paris quelques heures plus tôt des suites d’un accident vasculaire cérébral.

Immédiatement, des dizaines de souvenirs reviennent : le tir au but de Luis Fernandez, le « petit bonhomme » du mondial 86, la « mise à mort » de Kostadinov lors du cruel France - Bulgarie de 93, le fameux « ah quel pied ! ah putain ! » du sacre français en 98… sans oublier notre rencontre dans un palace de Bucarest un an plus tôt où je t’avais interviewé pour le journal de M6.

Thierry, je te le dis franchement, j’ai toujours trouvé que tu étais un mauvais journaliste. Adolescent, je ne supportais pas tes approximations, tes erreurs de jugement,  ton ton monocorde et ton chauvinisme débridé. Je garde toujours en mémoire ce match de Ligue des Champions entre Lens et Arsenal en 98 où tu as confondu le virevoltant Stéphane Dalmat et Alex Nyarko, le déménageur. Le lendemain, au lycée, tous mes potes m’en ont parlé…

Dalmat - Nyarko. Sérieux, Thierry, comment t'as pu te tromper ?
Et puis un jour, j’ai assisté à un match des bleus avec des non-initiés. Et j’ai compris… J’ai compris que pour des dizaines de millions de personnes qui ne s’intéressaient que de très loin au football, tu étais à la fois un repère solide et un joyeux compagnon, l’oncle avec qui on aurait aimé échanger lors des réunions de famille. J’ai compris que si autant de monde se rassemblait devant un écran pour voir vingt-deux joueurs en short s’échiner à mettre un ballon au fond d’un but, c’était en partie grâce à toi. Ta spontanéité parfois maladroite, tes analyses lapidaires, tes dérapages cocardiers étaient en fait des qualités appréciées par la grande majorité des téléspectateurs. Tu informais mal mais tu distrayais à la perfection.

Roland, jeune commentateur. Cette photo a fait la Une de L'Equipe
 le 17 juin 2012 au lendemain du décès du journaliste.
Malgré tes soixante ans de carrière, tes treize Coupes du monde et tes 1 800 matchs commentés en direct devant la France entière, tu n’as en fait jamais cessé d’être cet enfant de huit ans passionné par le ballon. Dans ton livre, Mes plus grands moments de football, tu te racontes gamin lorsque tu n’avais qu’à traverser la rue pour assister aux premières émissions sportives du Poste parisien, l’ancêtre de France Inter. La suite ? La fainéantise en classe, ton échec au bac et puis ce premier contrat qui tombe du ciel à la radio à une époque où on pouvait devenir journaliste rien qu’en le souhaitant. Nous sommes en 1955, le champion de France s’appelle le stade de Reims...

S’il y a bien une chose que j’admirais chez toi, Thierry, c’était ton amour du sport. Malgré l’expérience, malgré les années, tu n’as jamais cessé de voir le football comme un jeu. Tes nombreuses collections (d’autographes, de maillots, d’accréditations dont quelques-unes sont reproduites en fac-similés dans le livre) en attestent largement. Tu ne t’es jamais senti rassasié, aigri ou désillusionné par un sport devenu au fil du temps une gigantesque machine à faire de l’argent. A 74 ans, tu continuais de regarder les joueurs avec des yeux d’enfant. Comme l’a chanté Brel, tu es devenu « vieux sans être adulte » et cela réclame à la fois sagesse et talent.  

Roland devant ses petits bleus. Crédits : Franck Fife / AFP
Thierry, comme toi, je suis devenu reporter. Comme toi, je commente des matchs et je prends un plaisir incommensurable à exercer ce métier qui est avant tout une passion. Et au fond de moi, je sais, même si j’ai du mal à me l’avouer, que si j’ai une carte de presse aujourd’hui au fond de mon portefeuille, c’est probablement parce que lorsque j’avais huit ans, tu me faisais vibrer en t’enflammant pour les papinades de JPP et les larmes communicatives de Basile Boli. Thierry, tu n’as jamais été un modèle pour moi mais tu as été le premier à me donner envie de devenir journaliste. Merci. 

Samuel Duhamel

Mes plus grands moments de football de Thierry Roland, préface de Jean-Michel Larqué, éditions Larousse, 271 pages, 20 € 

12 anecdotes qui surprendront les passionnés de football

En soixante ans de carrière, Thierry Roland a interviewé des centaines de sportifs de haut niveau et a visionné plusieurs milliers de matchs. Forcément, cela donne quelques histoires surprenantes. En voici douze, collectées dans le livre Mes plus grands moments de football.

1. En 56 ans, la France n’a gagné qu’une seule fois la Coupe des clubs champions devenue « Ligue des champions » en 1992. C’est l’Olympique de Marseille qui rapporta le trophée dans l’hexagone en battant le Milan AC en finale (1-0) en 1993. Mais on a tendance à oublier que le stade de Reims était à deux doigts de décrocher la première Coupe des clubs champions jamais organisée. Menant 2-0 puis 3-2 face au Real Madrid, lors de la finale de 1956, les Champenois emmenés par Raymond Kopa s’inclinent finalement 4-3. Les Merengue ont remporté les cinq premières éditions de la compétition européenne. 

2. Cocorico ! Quatre des principales compétitions de sport ont été créées par des Français. Le baron Pierre de Coubertin est à l’origine de la renaissance des Jeux Olympiques, le championnat d’Europe des nations est l’idée d’Henri Delaunay. Jules Rimet a imaginé le premier la Coupe du monde de football. Quant à la Coupe d’Europe des clubs, c’est le journal L’Equipe et Gabriel Hanot qui en sont les instigateurs. 

3.  Après la Coupe du monde 1962 au Chili, remportée par le Brésil, Thierry Roland prend presque malgré lui le même avion que celui de la seleção qui rentre à Rio avec le trophée Jules-Rimet. Emporté par la foule, il se retrouve même sur le bus découvert avec les joueurs qui présentent la Coupe aux 30 000 cariocas venus les applaudir. Rémi Gaillard avant l’heure en quelque sorte.
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-    4. Aujourd’hui, quand les bleus font leur traditionnelle balade à pied les jours de match, photographes et reporters d’images ont le droit de les suivre cinq minutes, le temps de pouvoir prendre quelques images. Cinq minutes, pas une de plus. En 1966, à une époque où les Tricolores ont trois (!) sélectionneurs (Robert Domergue, Lucien Jasseron et Henri Guérin), l’ambiance est un peu différente : les journalistes séjournent dans le même hôtel que les joueurs et peuvent même faire leur footing avec eux. Thierry Roland s’entraîne avec Robert Herbin, Jean Djorkaeff et les autres…  Inconcevable au XXIe siècle !
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    5. Miroslav Stupar, l’arbitre soviétique, qui refuse le but parfaitement valable d’Alain Giresse lors du France-Koweït du mondial 1982 après l’intervention sur le terrain du cheikh Al-Ahmad, frère de l’émir, a été suspendu à vie par la Fifa. Pour la petite histoire, il refuse cinq buts aux bleus lors de la rencontre…  
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     6. Ceux qui ont vu le match en direct ne l’ont peut-être pas oublié mais cela va surprendre les moins de quarante ans : lorsque Patrick Battiston se fait agresser par Harald Schumacher lors de la demi-finale du mondial 1982 à Séville, le Stéphanois est sur le terrain depuis… 180 secondes seulement. Il vient de remplacer Bernard Genghini et cédera immédiatement sa place à Christian Lopez.
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      7. Un seul joueur faisait partie des équipes de France victorieuses à l’Euro et aux Jeux Olympiques de 1984 : le gardien de but Albert Rust, remplaçant lors de la première compétition mais titulaire lors de la seconde. Le Mulhousien a effectué la quasi-intégralité de sa carrière à Sochaux.
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     8. L’émission culte Téléfoot a été créée en 1977 par Jean Sadoul, président de la Ligue professionnelle de football à l’époque, Jean-Claude Darmon, l’ancien boxeur, docker, vendeur de cravates, publicitaire, inventeur des droits télé, capitaine d’industrie, Bernard Lavilliers du foot… et Georges de Caunes ! Le père d’Antoine était alors chef du service des sports de TF1.
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      9. Tous les amateurs de football français se souviennent du quart de finale du mondial 86 entre la France et le Brésil où Luis Fernandez, tendrement qualifié de « petit bonhomme » par Thierry Roland, marque le tir au but de la qualification pour la demie. L’expression est restée dans les mémoires sauf que… le match n’a pas été retransmis en direct sur TF1 mais sur Antenne 2. Autrement dit, personne n’a entendu les commentaires de Roland et Larqué au moment du fameux tir au but.
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     10. En 1986, le Steaua Bucarest remporte la Coupe d’Europe des clubs champions en battant en finale Barcelone aux tirs au but. Le gardien roumain Helmuth Duckadam réalise l’exploit de stopper les quatre tentatives catalanes. Fait surprenant, le portier moustachu ne reviendra sur les terrains que trois ans plus tard. Plusieurs versions ont été données pour justifier cette longue absence : un caillot sanguin dans le bras, un accident de tronçonneuse, un retrait volontaire après l’accident de Tchernobyl… Mais d’après Thierry Roland et plusieurs proches du gardien, Duckadam aurait en fait été torturé par les services spéciaux de Nicolae Ceausescu, jaloux de sa popularité. La milice roumaine lui aurait cassé les dix doigts…
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      11. Fin 1993, l’équipe de France n’a besoin que d’un point en deux matchs à domicile pour se qualifier pour la coupe du monde aux Etats-Unis un an plus tard. Tous les observateurs voient les bleus parmi les favoris du mondial 94. En octobre, les tricolores affrontent les Israéliens qu’ils avaient laminés 4-0 à l’aller. Surprise, l’équipe entraînée par Gérard Houiller s’incline 2-3. Il s’agit là de la première victoire à l’extérieur des Israéliens en compétition officielle face à une autre équipe nationale. Les bleus ne verront finalement jamais l’Amérique !
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     12. L’arrêt Bosman est l’une des rares décisions de la Cour de Justice européenne à être connue du grand public : il permet la libre circulation de sportifs européens d’un pays de l’UE à un autre et interdit les quotas de joueurs communautaires dans une équipe. Une équipe française peut par exemple être composée uniquement de joueurs espagnols. On a tendance à oublier que dans les années 90, le joueur belge Jean-Marc Bosman a porté plainte devant la Cour de Justice des communautés européennes car il souhaitait être transféré du FC Liège à… Dunkerque ! Savoureux. 


Un livre truffé d’erreurs

Lire Thierry Roland quand on aime le football, c’est un régal. Mais c’est aussi repérer des dizaines d’erreurs au fil des lignes. Ce qu’on pouvait lui reprocher  dans ses commentaires (absence de rigueur, simplismes, confusions en tout genre…), on peut également lui reprocher dans ses écrits. Voici les principales erreurs contenues dans Mes plus grands moments de football.

-          Page 93 : le joueur français qui marque le but refusé par Miroslav Stupar après l’intervention du cheikh Fahid Al-Ahmad lors du France-Koweït de 1982 n’est pas Maxime Bossis mais Alain Giresse.

-          Page 127 : sur la légende d’une photo, Roland confond Thierry Henry et… Luc Sonor. Les deux anciens monégasques ont quinze ans d’écart…

-          Page 141 : lorsque Roland revient sur la demi-finale du mondial 98 France-Croatie, il écrit que les bleus sont menés 1-0 à la mi-temps. Le score à la pause est en fait de 0-0.

-          Page 152 : Roland écrit : « [L’équipe de Nantes, championne de France en 2001] est composée d’un cocktail de jeunes, comme Mathieu Berson et Eric Carrière, et de moins jeunes joueurs, comme le gardien Mickaël Landreau et Sylvain Armand ». Or, Carrière est plus âgé que Landreau et Armand.

-          Page 186 : le journaliste décrit Idrissa Gueye comme un des « héros » lillois lors du sacre des dogues en championnat en 2011. Or, le Sénégalais n’a disputé que onze matchs, la grande majorité comme remplaçant.  Florent Balmont, apparu vingt-sept fois sur les terrains, lui, n’est pas cité…

-          Page 187 : Roland décrit l’ancien Lillois Stéphane Dumont comme attaquant. Or, il est milieu défensif.

-          Page 218 : David Trezeguet apparaît dans la liste des 14 joueurs français ayant disputé la finale de la Coupe du monde 98. Il n’a pas disputé le match.

-          Page 219 : Roland écrit qu’Emmanuel Petit marque à la « dernière minute du temps réglementaire » face au Brésil en finale de la coupe du monde en 98. Or, il marque à la dernière minute du temps additionnel.

-          Page 239 : le latéral portuguais Abel Xavier est décrit comme un « grand géant noir à la barbe blanche » lors de l’Euro 2000. Oublions le pléonasme. Abel Xavier avait en réalité une barbe peroxydée blonde ou jaune qui n’était donc pas blanche.

-          Mes plus grands moments de football, c’est aussi ses pires fautes d’orthographe. Les noms des personnalités, des clubs ou des tactiques sont bien souvent mal écrits. Voici un petit florilège : le Brésilien de génie Garrincha (celui qu’on appelait en 1962 « a alegria do povo – la joie du peuple », surnom sublime !) devient « Garricha », le catenaccio devient « catenacio », le Werder de Brême se transforme en « Werner », le druide Daniel Leclercq perd son « q » final, les anciens lyonnais Boumsong et Maurice changent carrément de prénom (Alain plutôt que Jean-Alain et Jean-Eudes plutôt que Florian – j’adore la confusion !), Basile Boli perd le « e » de son prénom, Nuno Gomes devient Nuno « Gomez », Romario devient « Romano ». Mais le summum pour Thierry, cela reste Jean-Michel Larqué affectueusement requalifié de « Largué » page 226. Tout-à-fait Thierry !