16 juin 2012. Comme tous les matins depuis deux semaines,
direction le centre média de l’équipe de France à Donetsk. Envoyé spécial de M6
en Ukraine, je suis le quotidien des tricolores et prends part à leurs
conférences de presse. La veille, les Tricolores ont battu l’Ukraine 2-0, ils
occupent la première place de leur groupe, le soleil brille dans un ciel tout
bleu. Plénitude. Mais à mon arrivée sur place, mes confrères ont le visage
fermé. Certains sont en pleurs. Que se passe-t-il ? « Thierry Roland
est mort ! » La voix du foot s’est éteinte à Paris quelques heures
plus tôt des suites d’un accident vasculaire cérébral.
Immédiatement, des dizaines de souvenirs reviennent :
le tir au but de Luis Fernandez, le « petit bonhomme » du mondial 86,
la « mise à mort » de Kostadinov lors du cruel France - Bulgarie de 93, le fameux « ah quel pied ! ah putain ! » du sacre français en 98…
sans oublier notre rencontre dans un palace de Bucarest un an plus tôt où je
t’avais interviewé pour le journal de M6.
Thierry, je te le dis franchement, j’ai toujours trouvé que
tu étais un mauvais journaliste. Adolescent, je ne supportais pas tes
approximations, tes erreurs de jugement,
ton ton monocorde et ton chauvinisme débridé. Je garde toujours en
mémoire ce match de Ligue des Champions entre Lens et Arsenal en 98 où tu as
confondu le virevoltant Stéphane Dalmat et Alex Nyarko, le déménageur. Le
lendemain, au lycée, tous mes potes m’en ont parlé…
Dalmat - Nyarko. Sérieux, Thierry, comment t'as pu te tromper ? |
Et puis un jour, j’ai assisté à un match des bleus avec des
non-initiés. Et j’ai compris… J’ai compris que pour des dizaines de millions de
personnes qui ne s’intéressaient que de très loin au football, tu étais à la
fois un repère solide et un joyeux compagnon, l’oncle avec qui on aurait aimé échanger lors des réunions de famille. J’ai compris que si autant de monde se rassemblait
devant un écran pour voir vingt-deux joueurs en short s’échiner à mettre un
ballon au fond d’un but, c’était en partie grâce à toi. Ta spontanéité parfois
maladroite, tes analyses lapidaires, tes dérapages cocardiers étaient en fait
des qualités appréciées par la grande majorité des téléspectateurs. Tu
informais mal mais tu distrayais à la perfection.
Roland, jeune commentateur. Cette photo a fait la Une de L'Equipe le 17 juin 2012 au lendemain du décès du journaliste. |
Malgré tes soixante ans de carrière, tes treize Coupes du
monde et tes 1 800 matchs commentés en direct devant la France entière, tu n’as
en fait jamais cessé d’être cet enfant de huit ans passionné par le ballon. Dans
ton livre, Mes plus grands moments de
football, tu te racontes gamin lorsque tu n’avais qu’à traverser la rue
pour assister aux premières émissions sportives du Poste parisien, l’ancêtre de
France Inter. La suite ? La fainéantise en classe, ton échec au bac et
puis ce premier contrat qui tombe du
ciel à la radio à une époque où on pouvait devenir journaliste rien qu’en le
souhaitant. Nous sommes en 1955, le champion de France s’appelle le stade de
Reims...
S’il y a bien une chose que j’admirais chez toi, Thierry,
c’était ton amour du sport. Malgré l’expérience, malgré les années, tu n’as
jamais cessé de voir le football comme un jeu. Tes nombreuses collections
(d’autographes, de maillots, d’accréditations dont quelques-unes sont
reproduites en fac-similés dans le livre) en attestent largement. Tu ne t’es
jamais senti rassasié, aigri ou désillusionné par un sport devenu au fil du
temps une gigantesque machine à faire de l’argent. A 74 ans, tu continuais de
regarder les joueurs avec des yeux d’enfant. Comme l’a chanté Brel, tu es
devenu « vieux sans être adulte » et cela réclame à la fois sagesse et
talent.
Roland devant ses petits bleus. Crédits : Franck Fife / AFP |
Thierry, comme toi, je suis devenu reporter. Comme toi, je
commente des matchs et je prends un plaisir incommensurable à exercer ce métier
qui est avant tout une passion. Et au fond de moi, je sais, même si j’ai du mal
à me l’avouer, que si j’ai une carte de presse aujourd’hui au fond de mon
portefeuille, c’est probablement parce que lorsque j’avais huit ans, tu me
faisais vibrer en t’enflammant pour les papinades de JPP et les larmes communicatives
de Basile Boli. Thierry, tu n’as jamais été un modèle pour moi mais tu as été
le premier à me donner envie de devenir journaliste. Merci.
Samuel Duhamel
Mes plus grands
moments de football de Thierry Roland, préface de Jean-Michel Larqué, éditions
Larousse, 271 pages, 20 €
12 anecdotes qui surprendront les passionnés de football
En soixante ans de carrière, Thierry Roland a interviewé des
centaines de sportifs de haut niveau et a visionné plusieurs milliers de
matchs. Forcément, cela donne quelques histoires surprenantes. En voici douze,
collectées dans le livre Mes plus grands
moments de football.
1. En 56 ans, la France n’a gagné qu’une seule fois
la Coupe des clubs champions devenue « Ligue des champions » en 1992.
C’est l’Olympique de Marseille qui rapporta le trophée dans l’hexagone en battant le Milan AC en finale (1-0) en
1993. Mais on a tendance à oublier que le stade de Reims était à deux doigts de
décrocher la première Coupe des clubs champions jamais organisée. Menant 2-0
puis 3-2 face au Real Madrid, lors de la finale de 1956, les Champenois emmenés
par Raymond Kopa s’inclinent finalement 4-3. Les Merengue ont remporté les cinq premières éditions de la compétition
européenne.
2. Cocorico ! Quatre des principales
compétitions de sport ont été créées par des Français. Le baron Pierre de
Coubertin est à l’origine de la renaissance des Jeux Olympiques, le championnat
d’Europe des nations est l’idée d’Henri Delaunay. Jules Rimet a imaginé le
premier la Coupe du monde de football. Quant à la Coupe d’Europe des clubs,
c’est le journal L’Equipe et Gabriel
Hanot qui en sont les instigateurs.
3. Après la Coupe du monde 1962 au Chili, remportée
par le Brésil, Thierry Roland prend presque malgré lui le même avion que celui
de la seleção
qui rentre à Rio avec le trophée Jules-Rimet. Emporté par la foule, il se
retrouve même sur le bus découvert avec les joueurs qui présentent la Coupe aux
30 000 cariocas venus les
applaudir. Rémi Gaillard avant l’heure en quelque sorte.
-
- 4. Aujourd’hui, quand les bleus font leur
traditionnelle balade à pied les jours de match, photographes et reporters d’images
ont le droit de les suivre cinq minutes, le temps de pouvoir prendre quelques
images. Cinq minutes, pas une de plus. En 1966, à une époque où les Tricolores ont trois (!) sélectionneurs (Robert Domergue, Lucien Jasseron et Henri
Guérin), l’ambiance est un peu différente : les journalistes
séjournent dans le même hôtel que les joueurs et peuvent même faire leur
footing avec eux. Thierry Roland s’entraîne avec Robert Herbin, Jean
Djorkaeff et les autres… Inconcevable au
XXIe siècle !
-
5. Miroslav Stupar, l’arbitre soviétique, qui refuse le but parfaitement valable d’Alain Giresse lors du France-Koweït du
mondial 1982 après l’intervention sur le terrain du cheikh Al-Ahmad, frère de l’émir,
a été suspendu à vie par la Fifa. Pour la petite histoire, il refuse cinq buts
aux bleus lors de la rencontre…
-
6. Ceux qui ont vu le match en direct ne l’ont
peut-être pas oublié mais cela va surprendre les moins de quarante ans :
lorsque Patrick Battiston se fait agresser par Harald Schumacher lors de la
demi-finale du mondial 1982 à Séville, le Stéphanois est sur le terrain
depuis… 180 secondes seulement. Il vient de remplacer Bernard Genghini et
cédera immédiatement sa place à Christian Lopez.
-
7. Un seul joueur faisait partie des
équipes de France victorieuses à l’Euro et aux Jeux Olympiques de 1984 :
le gardien de but Albert Rust, remplaçant lors de la première compétition mais
titulaire lors de la seconde. Le Mulhousien a effectué la quasi-intégralité de
sa carrière à Sochaux.
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8. L’émission culte Téléfoot a été créée en 1977 par Jean Sadoul, président de la Ligue
professionnelle de football à l’époque, Jean-Claude Darmon, l’ancien boxeur,
docker, vendeur de cravates, publicitaire, inventeur des droits télé, capitaine
d’industrie, Bernard Lavilliers du foot… et Georges de Caunes ! Le père d’Antoine
était alors chef du service des sports de TF1.
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9. Tous les amateurs de football français se
souviennent du quart de finale du mondial 86 entre la France et le Brésil où
Luis Fernandez, tendrement qualifié de « petit
bonhomme » par Thierry Roland, marque le tir au but de la qualification pour
la demie. L’expression est restée dans les mémoires sauf que… le match n’a pas
été retransmis en direct sur TF1 mais sur Antenne 2. Autrement dit, personne n’a
entendu les commentaires de Roland et Larqué au moment du fameux tir au but.
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10. En 1986, le Steaua Bucarest remporte la Coupe d’Europe
des clubs champions en battant en finale Barcelone aux tirs au but. Le gardien roumain Helmuth Duckadam réalise l’exploit de stopper les quatre tentatives catalanes.
Fait surprenant, le portier moustachu ne reviendra sur les terrains que trois
ans plus tard. Plusieurs versions ont été données pour justifier cette longue absence :
un caillot sanguin dans le bras, un accident de tronçonneuse, un retrait volontaire
après l’accident de Tchernobyl… Mais d’après Thierry Roland et plusieurs
proches du gardien, Duckadam aurait en fait été torturé par les services
spéciaux de Nicolae Ceausescu, jaloux de sa popularité. La milice roumaine lui
aurait cassé les dix doigts…
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11. Fin 1993, l’équipe de France n’a besoin que d’un
point en deux matchs à domicile pour se qualifier pour la coupe du monde aux
Etats-Unis un an plus tard. Tous les observateurs voient les bleus parmi les
favoris du mondial 94. En octobre, les tricolores affrontent les Israéliens qu’ils
avaient laminés 4-0 à l’aller. Surprise, l’équipe entraînée par Gérard Houiller
s’incline 2-3. Il s’agit là de la première victoire à l’extérieur des
Israéliens en compétition officielle
face à une autre équipe nationale. Les bleus ne verront finalement jamais l’Amérique !
-
12. L’arrêt Bosman est l’une des rares décisions de
la Cour de Justice européenne à être connue du grand public : il permet la
libre circulation de sportifs européens d’un pays de l’UE à un autre et
interdit les quotas de joueurs communautaires dans une équipe. Une équipe
française peut par exemple être composée uniquement de joueurs espagnols. On a
tendance à oublier que dans les années 90, le joueur belge Jean-Marc Bosman a
porté plainte devant la Cour de Justice des communautés européennes car il
souhaitait être transféré du FC Liège à… Dunkerque ! Savoureux.
Un livre truffé d’erreurs
Lire Thierry Roland quand on aime le football, c’est un
régal. Mais c’est aussi repérer des dizaines d’erreurs au fil des lignes. Ce qu’on
pouvait lui reprocher dans ses
commentaires (absence de rigueur, simplismes, confusions en tout genre…), on
peut également lui reprocher dans ses écrits. Voici les principales erreurs
contenues dans Mes plus grands moments de
football.
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Page 93 : le joueur français qui marque le
but refusé par Miroslav Stupar après l’intervention du cheikh Fahid Al-Ahmad lors du France-Koweït de 1982 n’est
pas Maxime Bossis mais Alain Giresse.
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Page 127 : sur la légende d’une photo, Roland
confond Thierry Henry et… Luc Sonor. Les deux anciens monégasques ont quinze
ans d’écart…
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Page 141 : lorsque Roland revient sur la
demi-finale du mondial 98 France-Croatie, il écrit que les bleus sont menés 1-0
à la mi-temps. Le score à la pause est en fait de 0-0.
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Page 152 : Roland écrit : « [L’équipe
de Nantes, championne de France en 2001] est composée d’un cocktail de jeunes,
comme Mathieu Berson et Eric Carrière, et de moins jeunes joueurs, comme le
gardien Mickaël Landreau et Sylvain Armand ». Or, Carrière est plus âgé
que Landreau et Armand.
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Page 186 : le journaliste décrit Idrissa
Gueye comme un des « héros » lillois lors du sacre des dogues en
championnat en 2011. Or, le Sénégalais n’a disputé que onze matchs, la grande
majorité comme remplaçant. Florent Balmont,
apparu vingt-sept fois sur les terrains, lui, n’est pas cité…
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Page 187 : Roland décrit l’ancien Lillois Stéphane
Dumont comme attaquant. Or, il est milieu défensif.
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Page 218 : David Trezeguet apparaît dans la
liste des 14 joueurs français ayant disputé la finale de la Coupe du monde 98.
Il n’a pas disputé le match.
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Page 219 : Roland écrit qu’Emmanuel Petit
marque à la « dernière minute du temps réglementaire » face au Brésil
en finale de la coupe du monde en 98. Or, il marque à la dernière minute du
temps additionnel.
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Page 239 : le latéral portuguais Abel Xavier
est décrit comme un « grand géant noir à la barbe blanche » lors de l’Euro
2000. Oublions le pléonasme. Abel Xavier avait en réalité une barbe peroxydée blonde
ou jaune qui n’était donc pas blanche.
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Mes plus
grands moments de football, c’est aussi ses pires fautes d’orthographe. Les
noms des personnalités, des clubs ou des tactiques sont bien souvent mal
écrits. Voici un petit florilège : le Brésilien de génie Garrincha (celui
qu’on appelait en 1962 « a alegria do povo – la joie du peuple »,
surnom sublime !) devient « Garricha », le catenaccio devient « catenacio »,
le Werder de Brême se transforme en « Werner », le druide Daniel
Leclercq perd son « q » final, les anciens lyonnais Boumsong et Maurice
changent carrément de prénom (Alain plutôt que Jean-Alain et Jean-Eudes plutôt
que Florian – j’adore la confusion !), Basile Boli perd le « e »
de son prénom, Nuno Gomes devient Nuno « Gomez », Romario devient « Romano ».
Mais le summum pour Thierry, cela reste Jean-Michel Larqué affectueusement
requalifié de « Largué » page 226. Tout-à-fait Thierry !