3.5.14

Karima Delli, de Tourcoing à Strasbourg, itinéraire d’une eurodéputée singulière

VINCENT KESSLER/Newscom/Reuters

A 35 ans, Karima Delli est la plus jeune eurodéputée française. Quand elle a été élue au parlement de Strasbourg en 2009 sous la bannière d’Europe Écologie Les Verts, cette Nordiste d’origine algérienne n’avait ni voiture, ni logement mais simplement un vélo et la somme de 9 euros 90 sur son compte en banque. Son arrivée dans la capitale européenne a été une réelle surprise pour elle mais aussi pour ses douze frères et sœurs. Quant à son père analphabète, ancien ouvrier textile, il ne l’a tout simplement pas cru lorsqu’elle lui a annoncé son élection par téléphone : « Arrête tes blagues, je vais me coucher ! », lui a-t-il lancé avant de raccrocher. Bref, Karima Delli n’est pas une eurodéputée comme les autres.

                Aux antipodes de l’archétype de l’élu européen (en gros, un homme de bonne famille quinquagénaire habitué aux fonctions électives), Karima Delli est arrivée à Strasbourg presque par hasard, profitant du score inattendu d’Europe Écologie Les Verts en Île-de-France lors des élections européennes de 2009 (près de 21%). Une consécration pour cette militante associative à l’origine de la création de plusieurs collectifs (Jeudi Noir, La France qui se lève tôt, Sauvons les riches !) qui mêlent à la défense des droits des plus fragiles un activisme joyeusement déluré. Véritable « miracle sociologique » pour reprendre l’expression du politologue Frédéric Sawicki, Karima Delli souhaite faire de la politique autrement, sans se prendre au sérieux, tout en restant proche des attentes des citoyens. C’est ce qu’elle raconte dans son livre La politique ne me fait pas perdre le Nord dans lequel elle revient sur son parcours, de ses rares vacances en famille à Dunkerque jusqu’à la fin de son mandat d’élue européenne.

                Avec ce livre-témoignage, la Tourquennoise cherche à retisser des liens avec les électeurs qui boudent les isoloirs. Et veut jouer la transparence. Son salaire « très confortable, trop sans doute » est de 6 000 euros net par mois ; c’est trois fois plus que ce qu’elle touchait comme assistante parlementaire de la sénatrice écologiste Marie-Christine Blandin. A ces 6 000 euros, il faut rajouter 4 200 euros au titre des frais généraux et 2 000 euros engrangés grâce son présentéisme au Parlement. Des montants qu’elle juge « scandaleux » et qu’elle utilise pour aider des amis et des associations. Des montants qui peuvent toutefois être complétés par des cadeaux offerts par les nombreux lobbys sévissant à Strasbourg. Bouteilles de vin, trousses de toilettes, produits de beauté, vacances payées ou même chèques de plusieurs centaines d’euros… Les lobbys de l’industrie sont prêts à tout ou presque pour s’attirer les faveurs des élus européens. L’ancienne étudiante en droit explique avoir « constituer une frontière » entre les groupes d’intérêts et sa mission d’eurodéputée et  range les « attentions » dans une armoire spécialement conçue à cet effet dans son bureau. Ce n’est pas le cas de tous ses collègues…

                Court mais instructif,  le livre de la candidate EELV aux élections européennes du 25 mai prochain est en soi rassurant. Il montre qu’il est possible de rester simple et accessible tout en  réussissant en politique. Malgré tout, les lecteurs passionnés par le monde des idées risquent de rester sur leur faim car Karima Delli aborde son programme (instauration d’un revenu maximal à hauteur de trente fois le revenu médian, mise en place d’un revenu d’existence, rupture avec les politiques d’austérité, conversion écologique de l’économie, fédéralisme…) avec superficialité. Dommage !

Samuel Duhamel

La politique ne me fait pas perdre le Nord de Karima Delli, La Tengo Éditions, 120 pages, 14 €