9.6.10

Petit concentré d’intelligence à destination des rédacteurs en chef

« Bourrez les gens de données incombustibles, gorgez-les de ‘faits’, qu’ils se sentent gavés, mais absolument ‘brillants’, côté information. […] Ne les engagez pas sur des terrains glissants comme la philosophie ou la sociologie pour relier les choses entre elles. C’est la porte ouverte à la mélancolie. »
Ray Bradbury, Fahrenheit 451, 1953

Désinformation, ragots, rumeurs, infotainment, surinformation… Depuis une vingtaine d’années, les journalistes et leur travail sont en proie à la critique d’une partie du public. Critiqués pour leurs choix éditoriaux, critiqués surtout pour être en inadéquation avec leur mission première : décrire le monde tel qu’il est et expliquer ce par quoi il est régi. Très souvent dans les médias, l’anecdotique, s’il est spectaculaire, et l’émotionnel, même s’il ne dit rien - ou si peu - de la société dans laquelle nous vivons, relèguent l’essentiel à la portion congrue. C’est ce que le sociologue belge François Heinderyckx appelle la « malinformation », c’est-à-dire une information non-conforme à ce que le public est en droit d’attendre d’une presse libre et citoyenne.

Dans son ouvrage, La malinformation. Plaidoyer pour une refondation de l’information, l’auteur porte la plume dans la plaie béante dont souffre le journalisme contemporain. Avec un constat simple : jamais les moyens techniques pour transmettre de l’information n’ont été aussi importants et jamais le monde n’a semblé aussi complexe, obtus, difficile à appréhender. L’explication ? Les médias industriels ont tendance à noyer leur public dans des données sans importance, juxtaposant faits divers sordides et événements éphémères.

Or, l’information qui compte, c’est celle qui a du sens, celle qui donne lieu à l’analyse, celle qui permet de comprendre un processus ou une tendance sociétale. Avant de rendre les cerveaux disponibles pour la publicité [1], l’information doit permettre à chacun de se construire, d’avoir les clés de compréhension du monde. Seulement problème : l’information est une donnée marchande comme les autres. En cela, elle doit permettre à ses tenants de gagner de l’argent.

Avant de délivrer un message citoyen, les journaux cherchent donc à plaire. Il faut faire bref, privilégier le factuel à l’analyse, donner aux gens ce qu’ils veulent savoir plutôt que ce qu’ils doivent comprendre… En un mot, livrer des données qui permettent un rassasiement agréable et efficace. L’analogie dressée par l’auteur entre malinformation et malbouffe est en cela éloquente. Dans les deux cas, ce qui marche, c’est le rapide, le facile et le sucré pour ne pas dire l’insipide. Heinderyckx file la métaphore : « le divertissement et l’émotion sont à l’information ce que les glucides et les lipides sont à l’alimentation : utiles et même indispensables à doses raisonnables, ils deviennent nocifs et pathogènes lorsqu’ils sont consommés en excès. » Mais alors que faire ? L’auteur dresse quelques pistes pour rendre à l’information la mission qu’elle n’aurait jamais dû cesser d’avoir. La clé ? Ce sont les citoyens qui l’ont. En se détournant de l’absurde et du stérile, les consommateurs d’info obligeront ses créateurs à repenser leurs schémas consuméristes. L’éducation au sens et au rôle de l’information est donc un premier pas pour que la malinformation disparaisse de nos journaux et de nos écrans.

En à peine 93 pages et dans un style clair et didactique, le livre de François Heinderyckx nous éclaire sur les dérives contemporaines du monde médiatique. A sa lecture, la refondation de l’information qu’il appelle de ses vœux semble d’une urgence impérieuse. Une autre info est possible ? Non elle est indispensable !

Samuel Duhamel

[1] Patrick Le Lay, ancien PDG de TF1, affirmait en 2004 que les émissions de la première chaîne avaient « pour vocation de rendre le cerveau du téléspectateur disponible : c’est-à-dire de le divertir, de le détendre pour le préparer aux messages publicitaires. »

La malinformation. Plaidoyer pour une refondation de l’information de François Heinderyckx, éditions Labor, 93 pages, 2003, 9 €