27.4.06

La convivialité d'Ivan Illich


La critique de la société industrielle exposée par Illich dans La convivialité repose sur une réflexion non marxiste et non anarchiste du capitalisme. Elle ne s’arrête ni sur l’exploitation de l’Homme par l’Homme ni sur la domination de l’Homme par l’Etat. La critique d’Illich dénonce la servitude que la société industrielle inflige à l’Homme.


Par l’intermédiaire du concept de « contre productivité de l’outil », Illich explique qu’à un certain moment du développement industriel d’une société, les institutions mises en place par cette dernière deviennent inefficaces. Ainsi, l’école uniformise et rejette au lieu de former, la voiture immobilise au lieu de transporter, la médecine ne soigne plus mais rend malade, l’énergie n’assure plus le confort mais met en danger…

Illich ne cesse de dénoncer la démesure des « outils » dans les sociétés industrielles. L’énormité de ces derniers est telle qu’elle écrase l’individu qui perd ainsi son autonomie et sa dignité. Ainsi, lorsqu’il prend l’exemple de l’école, Illich déconstruit la vulgate scolaire laudative. A force de monopoliser la mission d’éducation, l’école n’enseigne plus : elle exclut les non diplômés. De plus, le monopole de l’école comme source d’éducation lui permet de décider seule ce qui vaut la peine d’être enseigné ou non. Ainsi, ce sont des pans entiers de savoirs utiles qui sont laissés de côté (environnement, citoyenneté, solidarité et coopération…). Selon Illich, il faudrait arrêter de sacraliser l’école comme le font de nombreux progressistes contemporains et développer d’autres formes d’apprentissage (groupes d’enseignement en réseau, maisons d’éducation permanente, échanges entre individus…).

En grand défenseur du principe d’autonomie (l’Homme doit rester libre de ses choix en toutes circonstances), Illich assène de violentes attaques à un autre « monopole radical » : la voiture. Il ne supporte pas l’idée que l’Homme soit à ce point dépendant d’un outil. Face à leur véhicule personnel, de nombreux citoyens sont ainsi passés du statut de maîtrise au statut de servitude. Illich milite pour un changement culturel du rapport Homme – voiture. Selon lui, la voiture individuelle est un moyen de transport beaucoup plus contraignant mais surtout beaucoup plus lent que le vélo par exemple. Si l’on additionne tous les coûts inhérents à la possession d’une voiture (achat du véhicule, essence, garage, révisions, péages, entretien, assurances, stationnements…) plus le temps passé à travailler pour pouvoir payer ces dépenses, on s’aperçoit que la voiture n’avance pas à une vitesse moyenne de 60 ou 70 Km/heure comme on pouvait s’y attendre mais à une vitesse de 6 Km/heure, soit beaucoup moins vite qu’un vélo, un taxi ou un transport publique.

Illich définit alors trois critères indispensables pour qu’un instrument ou une institution soit considérée comme juste ou « convivial(e) » : - il/elle ne doit pas dégrader l’autonomie personnelle (autrement dit, on doit pouvoir faire sans en cas de force majeure)
- il/elle ne suscite ni esclave, ni maître
- il/elle élargit le rayon d’action personnelle

Dans un dernier temps, Illich dénonce la croissance économique comme fin ultime des sociétés industrielles. D’après lui, après avoir atteint un certain niveau de développement économique, chaque société se met en danger à vouloir croître davantage. Il considère la croissance ininterrompue comme néfaste pour trois raisons : - elle génère des coûts sociaux (exclusion et/ou chômage, précarité, aliénation)
- elle met en péril les conditions d’existence de l’Homme sur terre
- elle crée sans cesse des besoins nouveaux

Il s’agit donc de substituer à la société industrielle dominée par des impératifs de croissance économique et financière (AVOIR PLUS), une société conviviale (BIEN ÊTRE) dans laquelle les conditions d’une vie authentiquement humaine sur terre seront assurées.

Samuel Duhamel

Tous les livres d'Ivan Illich ont été réédités chez Fayard en deux volumes en 2005


Ivan Illich (1926 – 2002) : prêtre autrichien pourfendeur de la société industrielle, Ivan Illich a dirigé l’université catholique de Porto Rico, puis fondé, à Cuernavaca (Mexique), le Centre international de documentation (CIDOC) où l’on s’initie au monde latino-américain et participe à l’analyse critique de la société industrielle. Il renonce à la prêtrise en 1969 pour se consacrer à la rédaction d’ouvrages critiques sur les « monopoles radicaux imposés par la société industrielle ». Illich rejettera ainsi l’école, la voiture, l’énergie nucléaire, la médecine conventionnelle ou le travail qu’il considère comme des outils ou institutions « non conviviaux ». Son objectif consistait à tracer des sillons libérateurs pour que l’Homme échappe à la servitude et à la domination imposés par la société industrielle et les « monopoles radicaux » que cette dernière engendre.

Agir hic et nunc pour éviter l'apocalypse !

« La hausse du prix des hydrocarbures sera la fin du monde tel que nous le connaissons. » Le constat est amer mais lucide. Voilà le mérite de Pétrole apocalypse, le dernier ouvrage d’Yves Cochet, député vert de Paris. Annonçant une crise sans précédent dans l’histoire de l’humanité, l’auteur espère alerter l’opinion publique sur une thématique peu séduisante en apparence : la fin du pétrole à bas coût. Et ça marche ! Au fil des pages, on comprend les implications potentiellement désastreuses de 150 ans de consommation de pétrole à outrance sur nos vies quotidiennes. Relocalisation de l’économie, rationnement alimentaire, fin des voyages en avion…, ce sont l’ensemble de nos pratiques sociales qui vont évoluer avec la déplétion pétrolière. Le tout avant 2020 ! Tout un programme !

Malgré un titre un peu racoleur, le livre ne tombe donc pas dans l’écueil de la démagogie. L’auteur ne cherche pas à faire peur mais à tirer la sonnette d’alarme dans un désert d’indifférence. Chez Cochet, la volonté de convaincre s’appuie avant tout sur les rapports d’experts et les avis de spécialistes. La force de l’essai repose sur la manière dont il retourne brillamment les arguments de ses détracteurs potentiels (cf. p. 135 lorsqu’il évoque le truisme de l’ancienne ministre, Nicole Fontaine, sur l’énergie nucléaire). Un livre choc donc à conseiller à celles et ceux un tant soit peu intéressés par l’avenir de l’humanité. Car, au final, dans cet ouvrage, il n’est question que de cela.

Samuel Duhamel

Pétrole Apocalypse, d’Yves Cochet, éditions Fayard, 275 pages, 19 euros

Contre le mur de la honte

La Maison de Jeunes de Comines va organiser des manifestations citoyennes contre l’édification du mur en Palestine. Soutenus par 42 associations, les jeunes veulent sensibiliser l’opinion publique sur l’illégalité de la construction. En point d’orgue, une course solidaire de plus de 600 Km pour dire non au mur de la honte.

« Ce mur est illégal. Il sera à terme trois fois plus haut et deux fois plus large que le mur de Berlin. Nous devons donc nous y opposer. » L’appel de Matthew Brubacher, chercheur à la Maison d’Orient de Jérusalem, a trouvé un écho jusqu’à Comines Belgique. Il est vrai que l’édification d’une clôture entre Israël et la Cisjordanie (nord-est de la Palestine) a de quoi surprendre. Décidée unilatéralement par l’Etat hébreu, condamnée par la Cour Internationale de Justice et l’Assemblée Générale des Nations-Unies, la construction du mur se poursuit pourtant bon an mal an.

La Maison de Jeunes de Comines s’est saisi du problème et a décidé de monter des actions de soutien avec le peuple palestinien. « Les adolescents de la Maison sont avant tout de jeunes citoyens impliqués dans l’évolution du monde. Ils ont exprimé leur volonté d’agir contre le mur en Palestine en raison de son illégalité et des drames humains et sociaux qu’il engendre », explique Marie-Aude Breyne, coordinatrice de la Maison de Jeunes ‘Carpe Diem’ de Comines. Et les raisons de la colère des jeunes ne manquent pas : expulsion de dizaines de milliers de Palestiniens, dévastations de terres, séparation de familles…

Une recherche de partenaires a ainsi été effectuée en vue d’organiser la mobilisation. Au final, une liste hétéroclite de quarante-deux associations (wallonnes, flamandes, bruxelloises, françaises et européennes) ont accepté un partenariat avec la Maison de Jeunes. Parmi les soutiens, on retrouve Amnesty International, ATTAC, l’association France Palestine Solidarité ou encore l’union des progressistes juifs de Belgique.

Trois actions sont prévues dans le courant des mois d’avril et mai. Une conférence, intitulée « Mur de sécurité ou mur de l’annexion ? » se déroulera le 20 avril au centre culturel de Comines-Warneton à 20 heures. Le 26 avril, à 20 heures à la Maison de Jeunes, le ‘Carpe Diem’ organisera un ciné-forum avec la projection du film Le mur de Simone Bitton. Enfin, clou de la mobilisation, le samedi 6 mai aura lieu une course de solidarité au stade Maison de Jeunes de Comines Belgique. Le défi de cette « course contre le mur en Palestine » est de dépasser la distance de la clôture construite en Cisjordanie, soit plus de 650 Km. Les participants devront s’inscrire par équipe de deux ou quatre et s’élancer sur cinq ou dix kilomètres.

Mais pour Marie-Aude Breyne, la mobilisation ne s’arrête pas là : « En tant que citoyens responsables, nous devons interpeller nos élus, notre ministre des Affaires Etrangères pour qu’ils fassent pression sur Israël. L’Etat hébreu doit respecter l’avis de la Cour Internationale de Justice et rentrer dans la légalité. » Qui a dit que la jeunesse était démobilisée ?

Samuel Duhamel

12.4.06

Aider ici, là, là-bas...

Profondément marqués par la misère dont est victime le Congo-Brazzaville, leur pays d’origine, Philomène Bitoumbou et son fils, Claude, ont créé une association d’entraide à Lille-Sud en 1995. Entre actions menées dans le quartier et projets internationaux, c’est une véritable dynamique solidaire qu’a enclenchée la famille Bitoumbou. Prochaine mission : l’envoi d’un container de marchandises à Brazzaville début juin.
« Penser global, agir local… et global ». L’association interculturelle et d’entraide (AIE), implantée rue de l’Arbrisseau à Lille-Sud, reprendrait bien à son compte le slogan des militants altermondialistes. A une nuance près : l’action régionale ne lui suffit pas. Défendant les valeurs de respect et de solidarité, l’AIE cherche à aider les damnés de la terre, ceux que personne ne prend en considération : « Nous nous activons dans les pays les plus pauvres du monde comme le Burkina Faso, le Cameroun ou le Nicaragua. Grâce à l’aide de notre principal partenaire, le secours populaire, nous pouvons agir à plusieurs endroits en même temps », explique Claude Bitoumbou, président de l’association. « Dernièrement, nous avons envoyé des toiles au Congo afin de créer des moustiquaires. On parle souvent des ravages du SIDA en Afrique mais on oublie trop souvent que le paludisme tue davantage… »

La culture africaine, un outil de rapprochement entres les peuples
Si les trente bénévoles de l’AIE se soucient du sort des plus pauvres, elle n’en oublie pas pour autant les habitants du quartier et des environs. Mais ici, la démarche est différente : « Notre action locale n’est pas basée sur l’aide matérielle ou sur l’acquisition d’un savoir faire permettant de sortir de la misère. Dans la région, nous préférons utiliser une arme différente mais tout aussi efficace : la culture ! », raconte Philomène, présidente d’honneur de l’association. Ainsi, l’AIE promeut l’art africain dans les écoles, les centres sociaux et les maisons de retraite de la ville. Préparation de mets, danse folkloriques, lectures de contes : les moyens de transmettre des valeurs de paix et d’entraide sont pluriels : « Dans chaque histoire que je lis, il y a une leçon à retenir et je pense que c’est un excellent moyen d’aider les jeunes et de les inciter à la réflexion ». Récemment, c’est le lycée Valentine Labé à la Madeleine qui a eu recours aux services de l’association. Deux cents repas d’origine africaine ont été préparés pour les étudiants, désireux de connaître la richesse de la culture congolaise.

Solidaires en tous lieuxToutefois, actuellement, Claude Bitoumbou s’avoue davantage occupé par le volet humanitaire de l’association. Après un report d’un an dû à des difficultés économique, un convoi de marchandises (ordinateurs, chaises roulantes, matériels scolaires…) va être envoyé à Brazzaville le 10 juin prochain. « Comme pour tous les grands projets que nous organisons, nous sollicitons l’aide de chacun : la mairie de Lille, le conseil régional, les associations du quartier, les habitants : on doit tous se mobiliser pour que cet envoi soit une réussite », affirme Claude Bitoumbou. Réceptionné par les membres de l’AIE au Congo et par les bénévoles du secours populaire, le convoi devrait venir en aide aux jeunes handicapés de Brazzaville. « Là-bas, personne ne s’occupe d’eux. Ils vivent en marge d’une société frappée par la misère. Alors si nous ne sommes pas là pour les aider, qui le fera ? » A l’AIE, la solidarité n’a décidément plus de frontières…

Samuel Duhamel

Association interculturelle et d’entraide
301, rue l’Arbrisseau à Lille-Sud
Tél : Claude Bitoumbou au 06 18 88 89 43 ou Philomène Bitoumbou au 06 60 58 23 43

Jacques Richir : « Un palais omnisport permettra des retombées économiques positives »

Fil rouge : quel avenir pour l’ancienne gare de Lille-Sud ?

Troisième interview de la semaine avec Jacques Richir, conseiller d’opposition UDF, favorable à la création d’un palais omnisport sur la friche de l’ancienne gare de marchandises.

Quel est le projet que vous voudriez mettre en place sur la friche de Lille-Sud en cas de victoire aux élections municipales en 2008 ?Avant la décision de la communauté urbaine, je souhaitais l’instauration du Grand Stade sur cet emplacement. L’ancienne gare de Lille-Sud pouvait accueillir un stade de 30.000 places, au cœur de la ville. J’ai défendu cette idée depuis mai 2003. Les Verts l’ont d’ailleurs reprise à leur compte durant les débats sur l’emplacement du futur stade. Les élus de la communauté urbaine ayant opté pour le site de la Borne de l’Espoir entre Lezennes et Villeneuve d’Ascq, je propose la création d’un palais omnisport de 10.000 à 15.000 places, comparable à celui de Paris Bercy.

Pourquoi instaurer un palais omnisport à Lille-Sud ?Je pense que Lille-Sud a besoin d’un grand équipement structurant pour retrouver une attractivité et se redonner du dynamisme. Il faut donc compléter le Grand projet de rénovation urbaine (GRPU) lancé en début d’année par un projet d’importance, capable de renouer des liens entre Lille-Sud et les autres quartiers de la ville. Si je partage cette conviction avec les Verts, je trouve que leur projet de transfert du zoo de la citadelle à Lille-Sud est mauvais car il n’est porteur d’aucune plus-value. Le zoo étant gratuit, il ne créera aucune richesse nouvelle pour Lille-Sud. Je crois donc que les neuf hectares de la friche doivent être utilisés à autre chose. Un palais omnisport aura des retombées économiques positives. C’est un projet idéal car il incitera les gens à venir à Lille-Sud et permettra à la ville d’accueillir des événements sportifs ou culturels de première importance. En plus, le site a l’avantage d’être remarquablement desservi par les transports en commun.

Avez-vous d’autres projets pour cet emplacement ?
Oui, je suis également favorable à la création d’une esplanade piétonnière de 300 mètres de long pour 100 de large, reliant le boulevard de Strasbourg à l’ancienne gare de marchandises. Martine Aubry et les Verts se sont prononcés en faveur de la couverture du périphérique, c’est une erreur ! La couverture du périphérique est un projet pharaonique, dont le coût sera exorbitant. Les Verts proposent une couverture de 750 mètres de long pour 300 de large : vous imaginez les contraintes d’architecture que cela représente ! Créer une esplanade piétonnière favoriserait les liaisons entre Lille-Sud et les autres quartiers de la ville à un coût beaucoup plus modeste. En plus, l’esplanade est en soi un projet beaucoup plus écologique que la couverture du périphérique sur plusieurs hectares. Enfin, vu les difficultés qu’ont les automobilistes pour se stationner à Lille, je propose un nouveau parking près de la porte de Postes.

Etes-vous sûr que de tels projets pourront aboutir alors que le terrain de l’ancienne gare de marchandises n’appartient ni à la mairie, ni à la communauté urbaine ?
Effectivement, pour le moment la friche appartient au Réseau Ferré de France[1]. Mais, la communauté urbaine de Lille est actuellement en pourparler pour récupérer le site. Les négociations étant largement avancées, le rachat par la communauté urbaine n’est qu’une question de temps. De nouveaux projets vont donc pouvoir voir le jour à Lille-Sud.

Propos recueillis par Samuel Duhamel

[1] Le Réseau Ferré de France est un Etablissement public à caractère industriel et commercial (EPIC). Il a pour objet l’aménagement et la mise en valeur du réseau ferré national.

11.4.06

Le café du présent perpétuel

De la poussière sur la devanture, une porte grinçante, deux affiches jaune fluo portant l’inscription “A céder”. Le café des Grands vins d’Anjou, rue des Faubourgs des postes, ne fait rien pour aguicher le passant assoiffé.

L’intérieur du bistrot confirme cette impression. L’odeur de renfermé se mêle à celle des meubles anciens. Sur les murs, des photos de camions, de vieilles voitures et de nymphettes siliconées se font concurrence. Surplombant les banquette, deux images surprenantes, soigneusement glissées dans des pochettes transparentes, attirent les regards distraits : on y voit un sexe d’homme fumant une cigarette. Le message est explicite : “Arrête de fumer, t’attaques les roupettes !”

“Aux Grands vins d’Anjou”, la vie semble s’être arrêtée. Une horloge indique 8h35. Il est 13h57. Guy, le propriétaire, les bretelles acérées sur sa chemise à carreaux, regarde passer les voitures comme s’il n’en avait jamais vu. Ses quelques clients scrutent les faits et gestes des salariés de la marbrerie d’en face. Personne ne parle. En fond musical, les chansons de Mona FM se succèdent invariablement. Capri, c’est fini, Cocu mais content, Des idées bizarres... Trop concentrés à observer l’activité de la rue, les habitués du bistrot ne semblent plus écouter ces tubes d’un autre temps.

Entre nostalgie et insouciance, le café des Grands vins d’Anjou se laisse porter par le temps qui passe...

Samuel Duhamel

Michel Cucheval : « Il faut instaurer une troisième gare à Lille-Sud ou à Saint-Sauveur ! »

Fil rouge : quel avenir pour l’ancienne gare de Lille-Sud ?

Deuxième interview de la semaine avec l’élu communiste Michel Cucheval favorable à la création d’une troisième gare TER

Que pensez-vous de la proposition des Verts de transférer le zoo de la citadelle à Lille-Sud ?
Je crois que c’est de l’esbroufe. Les Verts veulent sembler originaux donc ils jouent sur les effets d’annonce. Les écologistes émettent des projets sans les avoir soumis à étude. Ils l’avaient déjà fait avec le parc Lebas et on a vu le résultat. [Les travaux du parc Lebas ont pris plusieurs mois de retard car des grenades ont été retrouvés dans la terre de remblai importée pour la construction - NDLR] Personnellement, je ne suis ni urbaniste, ni architecte mais élu. Mon objectif est donc de ne pas dépenser les deniers publics bêtement ou de manière inconséquente. Je ne sais pas si cette idée de transfert est pertinente, je préfère attendre les résultats des rapports des experts pour me positionner. Cela ne sert à rien de gloser sur un sujet que l’on ne connaît pas.

Quel est le projet des communistes pour l’ancienne gare de Lille-Sud ?
Je dirais que le projet des communistes, non seulement pour Lille-Sud mais aussi pour les autres quartiers, c’est d’aboutir au désengorgement de la ville par la voiture. Les conditions de circulation à Lille sont insupportables. Il faut donc inciter les gens à ne plus utiliser leur véhicule sans que cela coûte trop cher. Si les Verts ont compris le problème, la façon dont ils le traitent n’est pas la bonne car elle aboutit à stigmatiser l’automobiliste. Pour laisser leur voiture au garage, les utilisateurs doivent avoir un intérêt financier à le faire. C’est pourquoi les communistes proposent de baisser les prix des transports en commun et de créer de nouvelles infrastructures publiques de déplacement. L’arrivée prochaine du tram-train constitue donc un bon point de départ.

Concrètement, que proposez-vous ?
Nous devons faire des études pour instaurer une troisième gare au sein de la ville. Les deux gares existantes vont bientôt arriver à saturation car l’utilisation du train augmente de manière constante. Aux heures de pointe, un train arrive toutes les trois minutes à Lille-Flandres. Il faut donc créer une gare supplémentaire. Deux sites me paraissent envisageables pour ce nouvel équipement : la gare de triage Saint-Sauveur [dans le quartier Moulins, au sud-est de Lille - NDLR] ou la friche de Lille-Sud. Cette gare serait connectée au métro, au réseau de bus et au futur tram-train. Par ailleurs, si on veut encourager les automobilistes à laisser leur voiture chez eux, il faut des mesures incitatives : c’est pourquoi nous demandons la gratuité du train express régional (TER).

Si cette nouvelle gare ne voyait pas le jour à Lille-Sud, vers quelle idée vous tourneriez-vous ?
Certains ont parlé de couvrir le périphérique ou d’installer une esplanade piétonnière pour diminuer le bruit et favoriser les déplacements, pourquoi pas ? Je pense qu’avant de présenter un ou deux projets précis, il faut réfléchir à l’état du quartier. Malgré les avancées, Lille-Sud est encore un ghetto aujourd’hui. L’objectif doit donc être de désenclaver le quartier. Il faut réfléchir en termes d’accessibilité et de développement urbain. Les communistes soutiendront tous les projets répondant à ces impératifs de solidarité entre les quartiers et de promotion du secteur de Lille-Sud. Lançons des études et choisissons ensuite en connaissance de cause !

Propos receuillis par Samuel Duhamel

10.4.06

Eric Quiquet : « L’instauration du zoo à Lille-Sud est une garantie d’emplois et de dynamisme ! »

Fil rouge : quel avenir pour l’ancienne gare de Lille-Sud ?

Première interview de la semaine avec l’élu écologiste Eric Quiquet favorable à l’implantation du zoo de la citadelle sur la friche de l’ancienne gare de marchandises

Pourquoi voulez-vous transférez le parc zoologique de la citadelle à Lille-Sud ?Avec les Verts, nous pensons que la friche de Lille-Sud a besoin d’un équipement public fort, capable de créer des liens avec les autres quartiers de la ville, notamment Wazemmes et Moulins. Faute de pouvoir agrandir Grimonprez-Jooris, nous avions d’abord proposé de construire un stade de 30.000 places sur cet espace. Malheureusement, la communauté urbaine a décidé d’implanter le Grand Stade sur le site de la borne de l’espoir entre Lezennes et Villeneuve d’Ascq. Résultat : nous devons financer un stade de 50.000 places au coût exorbitant de 300 millions d’euros. C’est d’autant plus dommage que le futur stade sera mal desservi par les transports en commun. Face à cette absence de stratégie globale, nous devons nous démarquer en proposant des projets ambitieux pour la friche de Lille-Sud.

Pourquoi le zoo ne peut-il pas rester là où il est ?Le zoo est à l’étroit à la citadelle. Le site actuel du parc zoologique mesure trois hectares et demi, celui de l’ancienne gare de Lille-Sud environ neuf hectares. N’oubliez pas que le zoo de Lille est le site le plus visité de la ville, avec des pics à 30.000 visiteurs par jour. Comme Franck Haelewyn [directeur du parc zoologique - NDLR], je pense que le zoo n’est plus à la dimension de son succès. Il faut donc trouver un autre endroit pour que le zoo puisse continuer à se développer. Deux emplacements sont possibles : le magasin du pavé, derrière la porte de Strasbourg, au nord-ouest de la ville et la friche de Lille-Sud. Pour des raisons d’équilibre urbain, nous privilégions la seconde solution.

Quels seraient les avantages de l’instauration du zoo à Lille-Sud pour le quartier et ses habitants ?
Le projet du zoo est un projet dynamique car il est générateur d’emplois locaux et de bien-être pour les habitants du quartier. Contrairement à une salle de concert ou à un palais omnisport, le zoo accueille le public cinq ou six jours par semaine. En plus, c’est un projet que les habitants de Lille-Sud pourront s’approprier car il est populaire, accessible et donne une nouvelle attractivité au quartier. Par ailleurs, il serait situé à quelques pas du jardin botanique, ce qui permettrait de créer un ensemble d’équipements verts de qualité au sein du quartier.

Est-ce le seul projet à mettre en place à Lille-Sud ces prochaines années ?Non, je pense qu’il faut également recouvrir le périphérique. C’est une condition nécessaire pour donner du sens à la requalification du secteur. Ce projet aurait le double mérite de tisser plus de liens entre Lille-Sud et le reste de la ville et de diminuer la pollution sonore. Le périphérique est une balafre urbaine qu’il faut effacer partiellement. Sa couverture permettrait aux piétons de circuler plus facilement et favoriserait les échanges entre Lille-Sud et les autres quartiers. D’ailleurs, Martine Aubry considère que ce projet de couverture est une nécessité à moyen ou long terme. Je crois donc qu’il va falloir y venir !


Le transfert du zoo, la couverture du périphérique : ces projets sont-ils finançables ?Il est vrai que nos propositions sont ambitieuses. Mais, je pense que pour relancer la dynamique dans le sud de la ville, il faut faire des efforts financiers. Le transfert du zoo entrerait dans le contrat de plan Etat-Région et serait donc financé à plusieurs échelles. Quant à la couverture du périphérique, elle est envisageable. L’opération a d’ailleurs été réalisée à Paris sur cinq hectares pour environ 170 millions d’euros.

Propos recueillis par Samuel Duhamel

7.4.06

Contre l’oubli et l’injustice, l’action citoyenne continue

Survie se mobilise en mémoire des Tutsis exterminés lors du génocide au Rwanda en 1994

L’association Survie organisait jeudi à la cave des Célestines une conférence sur l’implication française dans le massacre des Tutsis. Quasiment douze ans jour pour jour après le début du génocide au Rwanda, la mobilisation se poursuit pour que les responsables rwandais et leurs complices français soient enfin condamnés.

« Si nos compatriotes étaient au courant d’une infime partie de ce que l’Etat français a fait au Rwanda au début des années 1990, ils seraient profondément révoltés. » Isabelle Sagnet, vice-présidente de Survie Nord, se veut sans concession. D’après elle, la France a été complice du génocide d’au moins huit cent mille Tutsis au Rwanda d’avril à juillet 1994. Huit cent mille morts en trois mois, dix mille par jour : le caractère exceptionnel du bilan chiffré finit par brouiller la réalité. S’appuyant sur l’ouvrage du juriste Géraud de la Pradelle[1], Isabelle Sagnet accompagnée d’Anne Merckaert, présidente de Survie-Nord, et Sewa Lassey, de l’association Amitié judéo-noire, ont expliqué à une vingtaine de citoyens présents les causes et le déroulement de la guerre au Rwanda, « programmée avec l’aval des autorités françaises ».

Mobilisation perpétuelleLes difficultés auxquelles se heurtent Survie et les autres associations militant pour que la vérité éclate dans les conflit rwandais sont énormes : désintérêt des médias, publication d’ouvrages minimisant ou réfutant la participation de la France dans le massacre, impunité des dirigeants… Pourtant, la commission d’enquête citoyenne sur le rôle de la France dans le génocide des Tutsis au Rwanda, lancée en mars 2004, a établi une forte présomption de complicité de la France avec le gouvernement génocidaire. « La France n’a jamais reconnu la gravité des actes commis durant cette période, il n’y a pas eu de remise en cause. On voit ainsi que la démocratie n’est pas un acquis mais bien une lutte permanente », explique Sewa Lassey.

Responsabilité française dans le génocideLes raisons de la mobilisation de Survie sont d’autant plus légitimes qu’elles se heurtent à l’impunité dont profitent les dirigeants politiques. Les déclarations de François Mitterrand (« Un génocide dans ces pays-là, ce n’est pas très important ») ou plus récemment de Jacques Chirac (« L’Afrique n’est pas mûre pour la démocratie ») montrent pourtant l’irresponsabilité de la France dans ses relations avec les pays d’Afrique ces dernières années. D’après Isabelle Sagnet, au Rwanda, les militaires français auraient « livré des rescapés Tutsis aux génocidaires Hutus, assassiné des Tutsis, violé des rescapées » ou « laissé des massacres se perpétrer dans la ‘zone de sécurité’ qu’ils administraient ». Le tout aurait été orchestré avec l’accord au moins tacite des dirigeants de l’époque dont François Mitterrand, Edouard Balladur, François Léotard, Alain Juppé…. Le rapport de la Commission d’enquête citoyenne initiée par Survie fait ainsi état d’une « complicité militaire, financière et diplomatique » de la France avec le régime rwandais. « Nous ne critiquons pas l’action de notre pays pour le plaisir, assure Anne Merckaert, mais parce que nous ne voulons pas que des crimes soient commis en notre nom. »

Vers davantage de maturité politique ?Survie propose donc des réformes pour que de tels drames ne se reproduisent plus : la lutte contre l’impunité des gouvernants, le renforcement du poids du Parlement face au chef de l’Etat, le contrôle des transferts d’armements de France vers des pays Africains doivent être les points de départ d’une action politique responsable et citoyenne. Car avant de vouloir aider l’Afrique, il faut d’abord cesser de lui nuire.

Pour plus d’informations : contactez Survie Nord au 03 20 36 15 30 ou survienord@club-internet.fr
Site : www.fraternet.org/survienord

Créée en 1984 suite à l’appel de 53 vainqueurs du Prix Nobel, Survie est une fédération regroupant quelque 1.500 adhérents, la plupart associées en 16 groupes régionaux. L’association, indépendante de toute filiation politique ou religieuse, poursuit trois objectifs d’action : promouvoir l’accès de tous aux biens publics, assainir les relations franco-africaines et prévenir les génocides dans le monde.

Samuel Duhamel

[1] Imprescriptible, l’implication française dans le génocide tutsi portée devant les tribunaux, Géraud de la Pradelle, éditions Les Arènes, 2005

6.4.06

Un terrain vague divise les élus lillois

Fil rouge : quel avenir pour l’ancienne gare de Lille-Sud ?

La proposition des Verts de transférer le zoo de la citadelle à Lille-Sud ne laisse personne indifférent à la mairie de Lille. Si certains trouvent l’idée intéressante, plusieurs contre-projets sont déjà évoqués au sein des différents groupes politiques. Création d’une troisième gare, construction d’un palais omnisport, développement d’entreprises… Le terrain vague de Lille-Sud risque de ne plus l’être pour très longtemps.

C’est ce qu’on appelle « jeter un pavé dans la mare ». Depuis qu’Eric Quiquet a rendu publique la volonté des Verts de déplacer le parc zoologique à Lille-Sud, le sort de l’ancienne gare de marchandises est devenu un sujet de discussion récurrent à la mairie de Lille. « C’était notre objectif ! » affirme l’adjoint au maire écologiste. « On cherche à obliger les gens à se positionner sur nos propositions. On pose des balises et ensuite les autres forces politiques sont contraintes de les utiliser comme références. » Destiné à redynamiser le quartier de Lille-Sud, le transfert du zoo aurait également l’avantage de désenclaver le jardin botanique, situé à quelques encablures. « Lille-Sud a besoin d’un équipement urbain structurant et générateur d’emplois et de lien social. Le parc zoologique répond à ces critères. Et puis, comme le zoo est à l’étroit à la citadelle[1], le déplacer à Lille-Sud permettrait de faire d’une pierre deux coups. »

Une troisième gare ?Si Bernard Charles, président socialiste de la mairie de quartier de Lille-Sud trouve l’idée « intéressante », Michel Cucheval, du groupe communiste, se veut plus réservé. « Les Verts cherchent à jouer la carte de l’originalité. Cette proposition de transfert, c’est d’abord un effet d’annonce. Pour le moment, le projet de déplacement du zoo ne repose sur aucune étude sérieuse. » Pour l’adjoint communiste, la priorité réside dans la construction d'une troisième gare à Lille… et le site de Lille-Sud pourrait s’avérer pertinent : « L’objectif des communistes, c’est de résoudre le problème de la circulation. Il faut donc développer les infrastructures ferroviaires. Dans Lille intra-muros, deux emplacements sont envisageables : la gare Saint-Sauveur à Moulins et l’ancienne gare de marchandises à Lille-Sud ».

Un palais des sports ?Dans l’opposition, les projets de reconversion de la friche de Lille-Sud sont tout autres. Jacques Richir (UDF) évoque « un palais omnisports type Paris Bercy de 10.000 ou 15.000 places pour compléter le projet de renouvellement urbain. » S’il partage l’idée de créer une infrastructure d’importance sur la friche de neuf hectares de Lille-Sud, il considère que « le zoo est une mauvaise idée car il n’est porteur d’aucune plus-value ». Même son de cloche chez Loïc Lesserre, conseiller d’opposition (UMP) qui affirme que « les Verts font preuve d’une ignorance absolue » sur « l’attachement des Lillois au zoo à la citadelle ». « Transférer le zoo aboutirait à une ‘ségrégation des loisirs’ entre les habitants de Lille-Sud et les autres. Ce qu’il faut, c’est favoriser la zone franche existante en développant de nouvelles activités économiques et en aidant les entreprises. Instaurer un palais des sports peut être une solution pertinente.»

Toutefois, quel que soit le projet retenu, le début des travaux n’est pour tout de suite. Rachat du site au Réseau Ferré de France, études de coût et faisabilité, vote d’un projet… les étapes sont encore nombreuses. Les élections municipales de 2008 risquent d’être décisives dans le choix final du projet. On n’a donc pas fini d’entendre parler du terrain vague de Lille-Sud.

Samuel Duhamel

[1] Avec des pics à plus de 30.000 visiteurs par jour, le parc zoologique est le site touristique lillois le plus visité. Mais selon son directeur, Franck Haelewyn, « le zoo est victime de son succès et ne peut plus se développer sur son emplacement actuel ».

Lille-Sud, en quête d'une nouvelle image

Considéré comme le "quartier difficile" de la capitale des Flandres, Lille-Sud voit son paysage urbanistique se modifier depuis plusieurs années. Derrière ces transformations, une ambition : rompre avec la stigmatisation dont le quartier fait l’objet.

Des hôpitaux, des industries, d’innombrables barres de HLM, un cimetière immense en guise d’espace vert… Le décor est planté : Lille-Sud ne fait pas rêver ! Malgré les efforts de la municipalité pour dynamiser le quartier et l’acquisition du statut de zone franche urbaine en 1997 , le quartier reste une zone sinistrée au sein de la ville de Lille. Ou plutôt en dehors : séparé du reste de la métropole par l’imposant boulevard périphérique, Lille-Sud est perçu par de nombreux Lillois comme un lieu de relégation sociale. « La première chose qui me vient à l’esprit quand je pense à mon quartier, c’est la délinquance. Le soir, quand je rentre chez moi à pied, je me fais toujours accoster par plusieurs bandes de jeunes. Ce n’est pas rassurant » affirme Stéphanie Robert, propriétaire d’un appartement, rue de Cannes.
Les causes de cette instabilité sont nombreuses : un taux d’activité plongeant sous les quarante points , des habitations insalubres, un manque criant d’infrastructures, une pollution sonore et atmosphérique…

Un quartier en chantier
Pourtant, la roue semble tourner. Longtemps paralysé par l’immobilisme des pouvoirs publics et la crainte des investisseurs, Lille-Sud a entamé sa mue. Plus de 350 entreprises se sont ainsi installées depuis 1997. En 2004, un parc indoor de 3.000 m² ouvrait ses portes pour accueillir les fondus de sport de glisse (la Halle de Glisse). Et depuis d’autres chantiers ont été lancés : les trottoirs du Faubourg des Postes, l’école Turgot, le pont des Postes…
A Lille-Sud, les bras métalliques de grues souveraines font de l’ombre aux passants. Fin 2006, la construction du nouvel Hôtel de Police de Lille sera achevée. Le nouveau commissariat accueillera quelque 1.700 gardiens de la paix, rue Maquillies. Autre projet d’envergure : le « Faubourg des modes » avec l’ouverture prochaine d’une quinzaine d’ateliers de haute couture destinés à soutenir de jeunes créateurs. Si la nature de ces réalisations surprend, les réactions de la population sont positives : « Amener des policiers et des stylistes dans un quartier en difficulté pouvait générer des tensions. Pourtant, les échos que l’on reçoit des habitants du quartier sont largement favorables », assure Cédric Tourbez, chargé de mission à la mairie de quartier de Lille-Sud.

Plus d’équipements pour plus de vie
Au coeur de ces changements, le Grand Projet de Rénovation Urbaine (GPRU) lancé par la mairie en début d’année. Lille-Sud est le principal quartier à bénéficier des aménagements. A terme, environ mille logements nouveaux seront disponibles dans le secteur. Un parc public, une salle polyvalente, un hôtel d’entreprises vont y être implantés. « Notre objectif est de transformer le quartier en cinq ou six ans. Pour cela, il faut créer de vrais espaces publics et instaurer plus de convivialité entre les habitants » explique Alain Cacheux, adjoint de Martine Aubry à l’urbanisme (PS).
Changer de visage pour changer d’image, le pari de Lille-Sud est ambitieux. Voilà sans doute le prix à payer pour se défaire d’une réputation sulfureuse que le quartier traîne depuis de longues années.

Samuel Duhamel

On dirait Lille-Sud

Les étudiants de première année de l'ESJ ont commencé leur session "Lille on Line". Au menu, des articles en tout genre sur les dix quartiers de Lille et les communes associées de Lomme et Hellemmes.

A titre personnel, je suis chargé du quartier Lille-Sud. Bonne lecture.
Pour plus d'informations : http://lille-online.fautvoir.com

C’est un endroit qui ressemble à la Bourgogne
Nord de Tourcoing
Il y a des travaux un peu partout dans la ville
Et c’est fort bien

On dirait Lille Sud, le temps dure longtemps
Et la vie sûrement plus d’un million d’années
Et toujours en cité

Y’a plein d’voitures qui polluent des routes étroites
Y’a plein d’immeubles, Y’a même des rats, des grues, un cimetière
Il ne manque rien

On dirait Lille Sud, le temps dure longtemps
Et la vie sûrement plus d’un million d’années
Et toujours en cité

Un jour ou l’autre, il faudra qu’il y ait la guerre,
On le sait bien
Voitures en feu et violents échanges de pierres
On dit, c’est le destin

Tant pis pour Lille Sud, c’était pourtant bien
On aurait pu vivre plus d’un million d’années
Et toujours en cité.

Samuel Duhamel avec la complicité de Nino Ferrer

31.3.06

Fighting cancer : right now !

Today cancer kills more than 150,000 people a year in France. But according to Etienne Buisset, director of the medical information sector at the Oscar Lambret center in Lille, hope must prevail. Today, if one cannot cure some cancers, one can singularly delay their onset. And that trend could be strengthened by research in genetics.

“Don’t smoke! Eat fruits and vegetables! Do sport!” Basic indications to prevent the onset of cancers are usually effective. But the multiplication of the number of cancers still worries the population. What can we do to cope with cancers? Can we expect to eradicate cancer? What are the most dangerous types of cancers? Etienne Buisset answers these questions.

According to the Ligue contre le cancer, 278,000 cancers were detected in 2000 as compared to 170,000 in 1980, that is to say a 60% increase in 20 years. How can we account for that rise?

Several explanations can explain the increase. First, one can mention the quality and the precocity of current detections. For instance, today, one can diagnose breast cancers which have not developed yet. 20 to 30% of detected breast cancers are so small that we cannot operate. It is exactly the same with prostate cancers. Before, prostate cancers were detected when the sick person complained of spine pain. Today, a blood test is enough to suspect such a cancer. So, the first criterion is linked to technological progress. Second explanation: ageing. Some patients die of cancer because they get older. As life expectancy increases, the number of cancers does also. And finally, the increase in the number of risk factors can account for that rise. One can quote professional factors for instance: the exposure to asbestos is undoubtedly a triggering factor in the rise of the number of cancers. One can imagine 100.000 deaths or so related to the exposure to asbestos in the following years.

And do you think that factors such as air pollution or stress and anxiety can generate cancers?
Environmental factors elicit the apparition of some peculiar kinds of cancers. Obviously, cigarette smoke increases the probability of getting a lung cancer and liver cancers are often linked to the consumption of huge quantities of alcohol. Another example lies in the cause end effect relation between breathing wood dust and being affected by sinus cancer. In my opinion, one can match environmental and professional factors with cancers. Indeed, among factory workers, there are much more cancers than among businessmen. That is certainly due to working conditions and the quality of life. Now, concerning the second part of the question, one cannot say that there is a relation between cancer and stress. It has never been demonstrated.

The World Health Organization released a report about cancer in the world some years ago. The document affirmed that the more Southern countries imitated the Western way of life, the more affected by cancer they would be. Can we say that cancer is a Western disease?

Surely not. I told you that quality of life is one of the criteria which account for the increase of the number in cancers. But there are two other types of factors at least: genetic ones and ethnic ones. And generally cancers appear on the grounds of the combination of various criteria. Thus, every country in the world is affected by cancer. What changes is the brand of cancer. For instance, while people die of lung or breast cancers in France, the Eskimos are much more affected by mouth or throat cancers. Why? Because their food is based on dry fishes and because they are infected by some viruses which do not exist in our country.

Do you mean that cancer is everywhere in the world and has always existed?

Absolutely! Basically, cancer is part of the evolution of cellular life. It is just the contamination of a specific organ by destructive cells. This contamination is natural (genetic origin, ageing) or can be accelerated chemically (cigarette smoke, alcohol…). You know, human death is part of life. It is the same with cancer. That is why one can assert that cancer is widespread in the world and has always existed.

What are the preventive indications to delay the onset of cancer?
Do not smoke, do not drink too much, eat fresh fruits and vegetables, do sport…Go to a testing center frequently, take care of yourself, pay attention to your genetic inheritance : for example, if a member of your family is affected, go to a testing centre.

President Chirac announced on 14th July 2002 that the struggle against cancer constituted one of his main priorities. Have you felt improvements in the way the state handles the cancer crisis?

Yes but not so much. I would say that the announcement was useful to consider cancer as a big national cause. As a result, one can assert that we are more efficient at delaying the onset of cancers. The national plan against cancer, launched in 2003 by former health minister, Jean-François Mattéi, focuses on most widespread cancers (breast, prostate, rectum, lung …). Its goal is to reduce mortality by cancer by 20% by 2008. That is appropriate! One can also mention the creation of the National Institute against cancer in 2003 which allows research to move forward. Moreover, there were changes in the way of facing the disease nationally. Now, the medical structure (hospitals, testing centers, regional medical centers, specialists…) are more organized. Thus, our common action is more efficient. But at the same time, one must not forget that oncology was also strongly supported before 2002. That is why I am saying that changes were not so numerous. Questions are still at stake: How to develop screening? When will we focus more on genetic research?

Today, one in two patients survives cancer. Can we imagine in the future that one will recover from cancer as one recovers from flu today?
Well, one must be wary of the figure you have just evoked. It is true that 50% from people affected by cancer survive. But, big contrasts exist between the types of cancer. If you are affected by skin cancer, you can be cured quite easily but on the contrary if you are sick from esophagus cancer, your probability of surviving is of the order of 0.5%. In my opinion, it seems difficult to cure all the existing cancers because, as I told you before, cancer is a natural cellular imbalance. But, hope must prevail. If we exhausted all the therapeutic techniques and current methods of treatments in the past few years, we have to focus now on genetic research to prevent the onset of cancers. One could learn much about cancer if we analyzed the genetic inheritance of every one of us. That could be the key to facing cancer in the coming years.

An Interview by Samuel Duhamel


Some interesting figures about cancer:

- Cancer kills about 150,000 people a year in France, that is to say 400 people a day
- One man in three and one woman in four will die of cancer.
- Cancer represents the first cause of mortality for young people before accidents and suicides
- In 2000, lung cancer killed 27,000 people, rectum and colon cancers 16,000, breast cancer 11,000 and prostate cancer 10,000. These are the four most criminal cancers.
- Today, in France, the probability of being sick with cancer is 35% higher than in the 1980s.
- According to the World Health Organization, the frequency of cancers could increase of 50% or so in the world by 2020. About 15 million people would be affected each year, which represents a quarter of the current French population.

Source: French Health ministry

30.3.06

Prendre l'avion, est-ce un vol ?

Alors que les compagnies low-cost pullulent et que les vacances aux quatre coins du monde se démocratisent, de plus en plus de voix se font entendre pour réduire le transport aérien. En effet, l’augmentation du nombre de vols engendre des émissions accrues de gaz à effet de serre, ce qui dérègle le climat et menace notre santé. Face à ces arguments, les compagnies aériennes et les agences de voyage ripostent : taxer le transport aérien risque d’occasionner une perte de compétitivité et des licenciements massifs.

« Plus vite, plus loin, plus souvent, moins cher », le leitmotiv des compagnies aériennes a décidément du plomb dans l’aile. Prochainement pénalisées par une taxe sur les billets d’avion visant à financer l’aide publique au développement[1], elles sont également menacées par une « taxe verte » défendue par de nombreux scientifiques et écologistes. Parmi eux, Thomas Hutin, ingénieur conseil en environnement et militant vert à Lille, se veut sans concession : « Les voyages en avion sont incompatibles avec les exigences du développement durable. En clair, si on fait un aller-retour pour l’Argentine, par exemple, et que l’on vit le reste de l’année dans une grotte comme un homme préhistorique, on aura déjà émis trop de gaz à effet de serre pour ne pas aggraver le réchauffement climatique. » Et les conséquences risquent d’être terribles. D’après les scientifiques du Groupe d’Experts Intergouvernemental sur l’Evolution du Climat (GIEC), sans une réduction drastique des émissions de dioxyde de carbone, méthane ou autre dioxyde d’azote, la multiplication des catastrophes météorologiques, la radicalisation des températures et l’élévation du niveau de la mer sont inévitables. Pour Thomas Hutin, « on ne peut pas à la fois prendre l’avion et vouloir transmettre une planète vivable à nos enfants : il n’y a rien de plus contradictoire ! » Au cœur de la polémique, une décision prise en 1944 par l’Organisation de l’Aviation Civile Internationale (OACI) qui détaxe totalement le kérosène [carburant d’aviation] et instaure ainsi une concurrence déloyale entre les différents modes de transport. Ainsi, pour de nombreux écologistes, l’absence de taxe sur le transport aérien rendrait les moyens de transport plus propres moins compétitifs. A côté des économies d’énergie, de la promotion des énergies renouvelables et de l’isolation des bâtiments, il faudrait donc taxer les déplacements en avion pour sauver la terre. « Si les coûts environnementaux liés au transport aérien étaient comptabilisés, le prix d’un billet d’avion serait cinq à cent euros plus cher, suivant la distance. Ainsi, les billets se vendraient moins et la pollution due aux déplacements aériens serait réduite[2] », affirme Thomas Hutin.

Du côté des professionnels de l’aviation et du tourisme, le constat est tout autre. Pour Lionel Guérin, président de la Fédération de l’Aviation marchande, le transport aérien doit être encouragé car il est vecteur d’emploi et de croissance. Aujourd’hui, des vols supplémentaires s’ouvrent dans différents aéroports nationaux. A Lesquin, les tours opérateurs proposent actuellement davantage de liaisons vers la Crète et la Tunisie. Mais malgré cette vague positive, les craintes des professionnels de l’aviation sont réelles. Taxer le transport aérien reviendrait en effet à diminuer le nombre de clients. Or, pour le conseil international des aéroports, une perte d’un million de passagers transportés par an engendrerait la suppression de 3 à 4 000 emplois. Pour leur défense, les compagnies font également valoir que peu de pays ont accepté la taxe visant à aider les pays les moins avancés et qu’ils seraient encore moins nombreux à vouloir instaurer une « taxe verte ». Elles affirment par ailleurs que taxer le transport aérien occasionnerait une rupture de concurrence avec les Etats-Unis et l’Asie. Enfin, compagnies et agences de voyage se disent victimes de la cherté du pétrole. Pour Lionel Guérin, « le prix du kérosène est déjà très élevé. Ces deux dernières années, notre facture de kérosène, qui représente 20% de nos coûts d’exploitation, a été multipliée par deux, et l’augmentation du prix du pétrole se poursuit. » Toutefois, certains professionnels de l’aviation ne s’opposent pas à pareille taxe. Jean-François Rial, PDG du groupe Voyageurs du monde, appelle ainsi à la responsabilité des transporteurs aériens : « S’il faut payer pour que les générations futures aient des conditions d’existence décentes, payons ! Soyons visionnaires ! Proposons de faire également payer cette taxe par toutes les activités non délocalisables et polluantes...».

Entre logique écologique et dynamique capitaliste, la question d’une « taxe verte » sur le transport aérien divise les différentes parties prenantes. Mais alors que l’ère du pétrole à bas coût se termine, 100% des avions continuent de voler au kérosène. Si aucune « taxe verte » sur les déplacements en avion n’est instaurée dans les prochaines années, c’est bien l’augmentation du prix du pétrole qui risque de pénaliser les professionnels de l’aviation. Qu’ils le veuillent ou non.

Samuel Duhamel

[1] Entrée en vigueur le 1er juillet 2006
[2] L’association CO2solidaire propose d’ailleurs à chaque citoyen prenant l’avion la possibilité de compenser ses émissions de gaz à effet de serre en calculant le montant des dégâts environnementaux liés à un déplacement aérien. L’argent récolté est utilisé pour soutenir des actions de coopération avec des pays du sud et pour préserver l’environnement. Pour plus d’informations : www.co2solidaire.org

Bienvenue na casa do Samuca

Libérer l'avenir

Libérer l’avenir avec le revenu d’existence

A l’instar du vote sur le traité constitutionnel européen et de la révolte des jeunes de banlieue, les manifestations contre le Contrat Première Embauche témoignent d’un rejet pluriel. Rejet du libéralisme économique, rejet de la précarité, rejet de la flexibilité érigée en dogme économique fondamental. Le CPE cristallise une peur des jeunes de voir leur avenir leur échapper. Si les étudiants sont dans la rue, ce n’est pas pour lutter contre une réforme inique du gouvernement mais pour dire « non » à la précarité qui les ronge. Contre la fragilité et la peur des lendemains qui déchantent, des solutions existent : parmi elles, le revenu d’existence.

PRECAIRE adj. (lat. precarius, obtenu par prière). 1. Qui n’a rien de stable, d’assuré ; incertain, provisoire, fragile. Santé précaire, Travail précaire 2. Qui existe par autorisation révocable. Poste précaire
La définition du Petit Larousse semble étrangement familière. Et pour cause, en lançant le Contrat Nouvelle Embauche (CNE) en juin dernier et le CPE il y a quelques semaines, le gouvernement a lancé le pari réaliste de créer quelques dizaines de milliers d’emplois en accentuant la précarité sur le marché du travail. Personne ne contestera à Dominique Galouzeau de Villepin la volonté d’agir. On ne combat pas le chômage par l’immobilisme. Mais, en utilisant la flexibilité comme principal moyen de créer de l’emploi, le Premier ministre a oublié l’essentiel : on ne gouverne pas contre un peuple inquiet. Si Villepin rappelle que les marchés du travail anglais ou danois sont basés sur le principe de flexibilité, il ne faut pas oublier que la précarité est relative dans ces pays car le taux de chômage y est minime (Grande-Bretagne) et/ou que les allocations chômage sont extrêmement généreuses (Danemark). Notre pays n’entre pas dans ces critères. Si le budget consacré à l’emploi a baissé de trois milliards et demi d’euros en quatre ans[1], l’utilisation de la flexibilité crée manifestement plus de stress social que d’emplois.

Un salaire garanti et inconditionnel pour tous
Mais alors que faire ? Comment réduire le chômage et éradiquer la pauvreté ? La réponse tient en deux mots : revenu d’existence. Pour rendre la confiance aux citoyens et créer de la paix sociale, il faut instaurer un revenu garanti et inconditionnel. Fixé environ à 650 euros par mois pour les plus de 18 ans et à 150 euros par mois pour les mineurs, le revenu d’existence est un pécule donné à chacun sans contrepartie de travail. Conçu par le monétariste Milton Friedman dans les années 70, le revenu d’existence a été repensé par de nombreux philosophes et économistes, notamment André Gorz, Alain Lipietz ou Yolland Bresson. Calculé proportionnellement au Produit Intérieur Brut, il est partiellement ou totalement imposable suivant les revenus du travail de chacun. Autrement dit, si la rémunération d’un individu est élevée, le revenu d’existence sera repris quasiment intégralement par l’impôt.

Le revenu d’existence n’est pas un RMI
Le revenu d’existence se différencie du revenu minimum d’insertion (RMI) sur plusieurs points : si le RMI est accordé temporairement et sous conditions, le revenu d’existence est inaliénable. On le touche de la naissance à la mort. Ensuite, alors que le revenu d’existence est accordé individuellement, le RMI est délivré au foyer, ce qui peut engendrer des problèmes de répartition au sein des ménages. Par ailleurs, le RMI peut inciter à la fraude : en jouant sur le total d’heures travaillées et le montant des allocations chômage, le montant du RMI sera plus ou moins élevé. Pour sa part, le revenu d’existence est fixé de manière stable par rapport au PIB. Il n’y a donc pas de mauvais calcul possible. Enfin, à la différence du RMI, le revenu d’existence ne stigmatise pas ses allocataires. Fini les petites phrases assassines du style : « Les Rmistes, ils vivent sur le dos de la société !» ou encore « C’est nous qui les faisons vivre ! » Si l’argent accordé aux chômeurs est bien le prix de l’exclusion sociale qu’ils subissent quotidiennement, le revenu d’existence ne souffre d’aucune contestation. Que l’on soit PDG de Total ou chômeur en fin de droit, on touche le même montant. Mais à la différence du chômeur, le PDG rendra la quasi-totalité de son revenu d’existence via l’impôt. Ainsi, l’instauration du revenu d’existence permettra la suppression du RMI – et des allocations chômage – qui deviendront inutiles.

Une avancée sociale exceptionnelle
Dans le contexte actuel, les avantages sociaux d’un tel revenu sont innombrables. En France, alors que la richesse est chaque jour plus importante, les chiffres de la misère sont désastreux : 100.000 sans logis[2], 3 millions de mal logés[3], 1,24 million Rmistes[4], 2,639 millions chômeurs[5], entre 1,2 et 3,5 millions de travailleurs pauvres[6], au moins 1 million d’enfants sous le seuil de pauvreté[7]… La mission première du revenu d’existence est de supprimer cette précarité. 650 euros par mois et par personne ne permet pas de vivre dans le luxe et la volupté mais cela donne à chacun un minimum décent. A l’heure des « welcome bonus » et des « golden parachutes », fournir à tous de quoi se nourrir, se loger et se vêtir n’a rien de scandaleux.

Pour en finir avec le travail subi
De plus, le revenu d’existence a le mérite de libérer l’individu du travail subi. Les contraintes matérielles de la vie obligent de nombreuses personnes à accepter des travaux difficiles. Travail à temps partiel, flexibilité désintégratice, heures supplémentaires non souhaitées ou non rémunérées, tâches ingrates… Le revenu d’existence rompt avec cette soumission de nombreux salariés aux travaux pénibles puisqu’il laisse à chacun de quoi vivre dignement. En outre, il permet de se réaliser autrement que par le travail. Les sociétés occidentales reposent encore sur des valeurs bassement matérialistes. Chez nous, celui qui réussit, c’est celui qui dispose de la plus grande fortune, de la plus belle voiture et du métier le plus gratifiant. Mais n’y a-t-il pas d’autres manières de s’épanouir ? Les activités artistiques, culturelles, sportives, pédagogiques, citoyennes, associatives ne sont-elles pas aussi valorisantes et productrices de lien social ? Si ! Et pourtant aujourd’hui, ces secteurs ne sont pas reconnus à leur juste valeur. Le revenu d’existence permet de conforter ces activités. Il est donc synonyme de nouvelles libertés : s’il est institué, chacun pourra désormais gérer sa vie comme il/elle l’entend, de décider quel temps consacrer au travail, à la famille, aux amis…
De plus, le revenu d’existence diminue drastiquement le stress sociétal, il est convivial et ne correspond à aucune idéologie, si ce n’est celle de l’humanisme. La certitude de disposer d’un revenu garanti incite à plus d’altruisme et de lien social. Dès lors que les arrières économiques de chacun sont garantis, il devient vain de lutter contre le CPE ou contre toute réforme cherchant à réduire le chômage. A la flexibilité éventuellement accrue du marché du travail répondra la possibilité pour tous de vivre sa vie pleinement.

Gagnant - gagnantMais le revenu d’existence ne comporte pas uniquement des avantages sociaux. Economiquement, c’est également une réforme de salut public pour trois raisons. D’abord, il permet un allègement du coût du travail. L’instauration progressive du revenu d’existence sera compensée par une stagnation, voire une diminution des salaires, de sorte que entrepreneurs et salariés se retrouvent gagnants. De plus, le gain en pouvoir d’achat des catégories les plus fragiles permettra une légère hausse de la consommation et des investissements, ce dont l’ensemble de la société profitera, au moins provisoirement. Enfin, le revenu d’existence trouve un prolongement heureux en terme d’aménagement du territoire dans la mesure où il peut inciter certains urbains à retourner à la campagne, où la vie est globalement moins chère. Cette valorisation du territoire peut ainsi redonner du dynamisme à des régions économiquement et démographiquement en perte de vitesse.

Assistanat ? Paresse ? Que nenni !
Malgré ces avantages, l’instauration d’un revenu garanti et inconditionnel fera naturellement des sceptiques. On ne met pas en place des réformes révolutionnaires sans susciter doutes et interrogations. Parmi les critiques, on retrouvera certainement celle de l’assistanat et de l’incitation à la paresse. Cette attaque peut être écartée d’un revers de la main par plusieurs arguments. D’abord, il ne faut pas oublier que le revenu d’existence reste modeste. Comment vivre en effet seul à Paris avec 650 euros par mois sans mener un train de vie sobre et économe ? Le bénéficiaire aura donc intérêt à trouver un travail pour augmenter ses revenus et jouir d’un niveau de vie plus élevé. Par ailleurs, le revenu d’existence est calculé proportionnellement au Produit Intérieur Brut. Cela signifie que, si du jour au lendemain, la moitié des 27 millions d’actifs français cessent de travailler pour se contenter du revenu d’existence (hypothèse hautement improbable), le PIB chuterait drastiquement… comme le revenu d’existence. Ainsi, la baisse d’activité pénaliserait en premier lieu ceux qui, refusant de participer à l’effort collectif, se seraient satisfaits du seul revenu d’existence. De toute façon, la valeur du revenu d’existence reste arbitraire : si le montant fixé pour ce revenu garanti est vraiment désincitatif, on peut envisager de le baisser de 50 euros par exemple. En outre, comme le revenu d’existence se cumule avec tout autre revenu, il évite l’effet de seuil de la protection sociale, selon lequel, en dessous d’un certain niveau de salaire, il vaut mieux ne pas travailler pour éviter de perdre le bénéfice de son assistance. Enfin, rien n’interdit d’assortir le revenu d’existence à un service civique ou à d’autres activités socioculturelles. Il serait dommage en effet qu’une si belle réforme soit souillée par une augmentation exponentielle de l’audimat de la Star’Ac ou du Loft.

Rien d’utopique, le revenu d’existence est finançable
La critique principale du revenu d’existence sera sans doute d’ordre économique. Comment financer un projet aussi ambitieux ? A cet instant de la démonstration, j’invite le lecteur à se munir d’une calculatrice. Calculons d’abord le coût du revenu minimum d’existence. Sachant que 62 millions de Français peuplent notre beau pays et qu’environ trois quart de la population est majeure, nous pouvons estimer à trente-deux milliards d’euros par mois le coût du revenu d’existence (650 euros * 46 millions de majeurs + 150 euros * 16 millions de mineurs = 32 milliards d’euros). A ces trente-deux milliards, il faut retirer l’argent repris par l’impôt sur le revenu d’existence, aux travailleurs actifs. En effet, si un individu gagne 1.500 euros par mois par exemple, l’Etat lui reprendra 85 ou 90% du revenu d’existence qu’il lui a accordé. Si ce même individu obtient une augmentation et reçoit désormais 2.500 euros, l’Etat lui reprendra 95% du revenu garanti qu’il lui aura accordé. Les travailleurs rémunérés (salariés, employés, cadres, patrons…) sont environ 27 millions en France[8]. Mais pour prendre en compte les salariés risquant d’arrêter leur activité professionnelle avec l’instauration du revenu d’existence et les revenus d’existence minorés accordés aux travailleurs pauvres, comptons seulement 22 millions de travailleurs (650 euros repris par l’impôt * 22 millions de travailleurs = 14 milliards d’euros ; 32 milliards d’euros – 14 milliards d’euros = 18 milliards d’euros). Pour financer le revenu d’existence, il faut donc trouver 18 milliards d’euros par mois. Comment procéder ? Dans un premier temps, il convient de soustraire l’argent économisé par la suppression du RMI et des allocations chômage, devenus inutiles. Ces dernières étant en moyenne d’environ 1.000 euros, le calcul est le suivant : (433 euros de RMI * 1 million 200 Rmistes + 2 millions 600 chômeurs * 1.000 euros d’allocation chômage = 3 milliards d’euros ; 18 milliards d’euros – 3 milliards d’euros = 15 milliards d’euros). Nous voilà maintenant avec 15 milliards d’euros à trouver tous les mois pour financer le revenu d’existence. En diminuant les budgets des allocations de rentrée scolaire, des allocations familiales, des cotisations retraites et des allocations logement (l’instauration du revenu d’existence ne nécessitera plus d’avoir des allocations si élevées), on peut économiser encore 5 milliards d’euros par mois. Il ne nous reste plus que 10 milliards à trouver chaque mois, auxquels il faut retirer un milliard d’euros sauvés sur les frais de gestion du système existant (calculer les montants des RMI et des allocations prend du temps… et de l’argent par l’intermédiaire du salaire des fonctionnaires ; avec la suppression du RMI et des allocations chômage, la bureaucratie sera moins influente et la France pourra économiser un milliard mensuellement). Neuf milliards d’euros, ce sont les fonds que l’on doit trouver pour financer le revenu d’existence. Or, neuf milliards d’euros, c’est exactement le surplus mensuel que la France gagnerait si ses prélèvements obligatoires étaient du niveau de ceux de la Suède. La France a un taux de prélèvement obligatoire de 44%, la Suède de 51%[9]. Si la France taxait sa richesse à 51%, elle toucherait 112 milliards d’euros supplémentaires par an, soit un peu plus de 9 milliards d’euros supplémentaires par mois (1.600 milliards d’euros de PIB français * 51% – 1.600 milliards d’euros de PIB français *44% = 816 milliards d’euros – 704 milliards d’euros = 112 milliards d’euros).
Bref, ce long et laborieux paragraphe permet d’affirmer, qu’en taxant davantage les activités polluantes, les combustibles fossiles, les transactions immobilières et financières, la publicité et les très hauts revenus, on peut financer le revenu d’existence. Tout est question de volonté politique et de priorités d’action publique. Si l’on considère que la diminution (voire la suppression) de la pauvreté et que l’épanouissement des individus soient des objectifs à atteindre, il faut instaurer progressivement le revenu d’existence. La réforme peut être mise en place le temps d’un mandat présidentiel complet (cinq ans) pour que chacun puisse s’y adapter en douceur.

Et la compétitivité dans tout ça ?
Enfin, dernière critique éventuelle : le revenu d’existence plombera la compétitivité du pays. Il est vrai que l’instauration d’un revenu garanti et inconditionnel freinera sans doute l’activité productrice au profit d’activités tertiaires. Tant mieux ! Les ressources limitées de notre monde fini nous obligent de toute manière à rompre avec le productivisme. Croire que l’on va pouvoir continuer à croître indéfiniment, comme on le fait depuis le début du XXe siècle, relève au mieux de l’ignorance, au pire du cynisme. Disparition des ressources fossiles, dérèglement du climat, pollution de l’air et de l’eau, épuisement des sols, multiplication des catastrophes météorologiques… Il est temps de changer de modèle de développement. Il est temps de passer d’un modèle orienté sur l’accroissement du revenu à un modèle basé sur le respect de l’environnement et l’épanouissement de chacun. Et le revenu d’existence peut nous aider à franchir ce cap. Par ailleurs, il n’est pas besoin de rappeler qu’un taux de prélèvement obligatoire élevé n’est en rien synonyme de baisse d’activité ou de fuite fiscale. Il suffit, pour s’en convaincre, de regarder les performances des pays nordiques où les taux de prélèvement sont les plus élevés d’Europe. Comme le dit Jean-Paul Fitoussi, directeur de l’Observatoire Français des Conjonctures Economiques : « Les régimes nordiques ont opté pour un système de protection sociale très généreux et cela n’a pas affecté leurs performances économiques, au contraire. Donc, je crois que la question du système de protection sociale et de son degré de générosité est davantage une question politique qu’une question économique. La France pourrait les imiter. […][10] »

Reconstruire l’espérance
Evidemment, le revenu d’existence ne peut prétendre à lui seul guérir tous les maux dont souffre la société. Pour autant, il constitue un des fondements essentiels des réformes à entreprendre. Seuls deux pays (plus l’Alaska) ont pour le moment instauré un revenu d’existence, le Brésil en 2004 et l’Afrique du Sud en 2005. S’il est trop tôt pour tirer un jugement sur l’instauration du revenu d’existence dans ces pays, les premiers échos sont largement positifs. En France, plusieurs militants des Verts, Yves Cochet en tête, souhaitent instaurer un tel projet. Christine Boutin, candidate à la présidentielle de 2002 et membre de l’UMP, plaide également pour sa mise en place mais à un niveau moindre (330 euros pour tous). Il faut donc faire preuve de pédagogie et de patience pour expliquer les tenants et les aboutissants du revenu garanti et inconditionnel. Si le revenu d’existence trouve un écho dans l’opinion publique, nos gouvernants seront contraints d’en tenir compte et de le mettre en place. Il n’y aura alors plus besoin de rappeler le sens du mot « précarité »…

Samuel Duhamel

[1] 16,75 milliards d’euros en 2002 contre 13,17 milliards en 2006 (Source : ministère de l’emploi)
[2] Fondation Abbé Pierre – mars 2002
[3] Fondation Abbé Pierre – mars 2002
[4] Caisse nationale des allocations familiales –septembre 2005
[5] Bureau International du Travail – janvier 2006
[6] Observatoire de inégalités – juin 2005
[7] Conseil de l’emploi, des revenus et de la cohésion social – février 2002
[8] INSEE - 2005
[9] Sénat français - 2004
[10] Janvier 2006