27.4.06

La convivialité d'Ivan Illich


La critique de la société industrielle exposée par Illich dans La convivialité repose sur une réflexion non marxiste et non anarchiste du capitalisme. Elle ne s’arrête ni sur l’exploitation de l’Homme par l’Homme ni sur la domination de l’Homme par l’Etat. La critique d’Illich dénonce la servitude que la société industrielle inflige à l’Homme.


Par l’intermédiaire du concept de « contre productivité de l’outil », Illich explique qu’à un certain moment du développement industriel d’une société, les institutions mises en place par cette dernière deviennent inefficaces. Ainsi, l’école uniformise et rejette au lieu de former, la voiture immobilise au lieu de transporter, la médecine ne soigne plus mais rend malade, l’énergie n’assure plus le confort mais met en danger…

Illich ne cesse de dénoncer la démesure des « outils » dans les sociétés industrielles. L’énormité de ces derniers est telle qu’elle écrase l’individu qui perd ainsi son autonomie et sa dignité. Ainsi, lorsqu’il prend l’exemple de l’école, Illich déconstruit la vulgate scolaire laudative. A force de monopoliser la mission d’éducation, l’école n’enseigne plus : elle exclut les non diplômés. De plus, le monopole de l’école comme source d’éducation lui permet de décider seule ce qui vaut la peine d’être enseigné ou non. Ainsi, ce sont des pans entiers de savoirs utiles qui sont laissés de côté (environnement, citoyenneté, solidarité et coopération…). Selon Illich, il faudrait arrêter de sacraliser l’école comme le font de nombreux progressistes contemporains et développer d’autres formes d’apprentissage (groupes d’enseignement en réseau, maisons d’éducation permanente, échanges entre individus…).

En grand défenseur du principe d’autonomie (l’Homme doit rester libre de ses choix en toutes circonstances), Illich assène de violentes attaques à un autre « monopole radical » : la voiture. Il ne supporte pas l’idée que l’Homme soit à ce point dépendant d’un outil. Face à leur véhicule personnel, de nombreux citoyens sont ainsi passés du statut de maîtrise au statut de servitude. Illich milite pour un changement culturel du rapport Homme – voiture. Selon lui, la voiture individuelle est un moyen de transport beaucoup plus contraignant mais surtout beaucoup plus lent que le vélo par exemple. Si l’on additionne tous les coûts inhérents à la possession d’une voiture (achat du véhicule, essence, garage, révisions, péages, entretien, assurances, stationnements…) plus le temps passé à travailler pour pouvoir payer ces dépenses, on s’aperçoit que la voiture n’avance pas à une vitesse moyenne de 60 ou 70 Km/heure comme on pouvait s’y attendre mais à une vitesse de 6 Km/heure, soit beaucoup moins vite qu’un vélo, un taxi ou un transport publique.

Illich définit alors trois critères indispensables pour qu’un instrument ou une institution soit considérée comme juste ou « convivial(e) » : - il/elle ne doit pas dégrader l’autonomie personnelle (autrement dit, on doit pouvoir faire sans en cas de force majeure)
- il/elle ne suscite ni esclave, ni maître
- il/elle élargit le rayon d’action personnelle

Dans un dernier temps, Illich dénonce la croissance économique comme fin ultime des sociétés industrielles. D’après lui, après avoir atteint un certain niveau de développement économique, chaque société se met en danger à vouloir croître davantage. Il considère la croissance ininterrompue comme néfaste pour trois raisons : - elle génère des coûts sociaux (exclusion et/ou chômage, précarité, aliénation)
- elle met en péril les conditions d’existence de l’Homme sur terre
- elle crée sans cesse des besoins nouveaux

Il s’agit donc de substituer à la société industrielle dominée par des impératifs de croissance économique et financière (AVOIR PLUS), une société conviviale (BIEN ÊTRE) dans laquelle les conditions d’une vie authentiquement humaine sur terre seront assurées.

Samuel Duhamel

Tous les livres d'Ivan Illich ont été réédités chez Fayard en deux volumes en 2005


Ivan Illich (1926 – 2002) : prêtre autrichien pourfendeur de la société industrielle, Ivan Illich a dirigé l’université catholique de Porto Rico, puis fondé, à Cuernavaca (Mexique), le Centre international de documentation (CIDOC) où l’on s’initie au monde latino-américain et participe à l’analyse critique de la société industrielle. Il renonce à la prêtrise en 1969 pour se consacrer à la rédaction d’ouvrages critiques sur les « monopoles radicaux imposés par la société industrielle ». Illich rejettera ainsi l’école, la voiture, l’énergie nucléaire, la médecine conventionnelle ou le travail qu’il considère comme des outils ou institutions « non conviviaux ». Son objectif consistait à tracer des sillons libérateurs pour que l’Homme échappe à la servitude et à la domination imposés par la société industrielle et les « monopoles radicaux » que cette dernière engendre.